Caravane : un road-trip sans concession

Ils sont peu nombreux, les films qui ont osé toucher le sujet du handicap mental et des relations familiales. On pense évidemment à Rain Man, qui explorait la relation d’un adulte avec son frère autiste qu’on lui avait caché, ou, à sa manière, à Forrest Gump, dont la maman fera tout pour lui (jusqu’à coucher avec le proviseur pour que son fils puisse étudier dans une école “normale”). Avec Caravane, en compétition d’Un certain regard, Zuzana Kirchnerová mène le sujet dans des lieux encore plus tabous. La réalisatrice, elle-même maman d’un enfant atteint de trisomie 21 et d’autisme, filme avec justesse et sans angélisme le basculement de l’enfance à l’adolescence d’un jeune trisomique, et le flot intarissable de difficultés nouvelles qu’il charrie. Un film courageux et sensoriel.

Esther, mère célibataire de 45 ans, part en vacances chez des amis en Italie avec son fils David, porteur d’un handicap mental sévère. Mais l’intégration de l’adolescent est compliquée et Esther s’enfuit avec la caravane familiale, direction le sud de l’Italie. Sur leur route, ils croisent Zuza, une jeune femme aux cheveux roses qu’ils embarquent avec eux. Entre travaux des champs et jeux à trois sur les plages, l’été défile dans un road-trip fondateur.

Dès le début de Caravane, après que David a saccagé le salon de la maison de vacances, terrifiant sans le vouloir les deux petites filles qui vivent là, une phrase de l’amie pose le tabou qu’explore le film. Alors qu’elle pense qu’Esther ne l’entend pas, elle s’excuse auprès de son mari : « Je ne savais pas qu’il était comme ça. La dernière fois que je l’ai vu ce n’était qu’un enfant, il était si mignon qu’on ne voyait pas sa différence ». La bascule vers l’adolescence, et son tabou concernant les personnes handicapées et le rapport à leurs proches, est alors exposée sans faux-semblant : David, qui commence à avoir du duvet, est incapable de contrôler ces pulsions sexuelles qu’il ne comprend pas. Ses rapports avec les femmes qu’il croise sont ambivalents et dérangent volontairement le spectateur : leur caresse-t-il ainsi les cheveux car c’est encore un enfant, ou cherche-t-il davantage ?

Lorsque David se bat pour jouer ou lorsqu’il est en crise, la force de son nouveau corps d’homme prend peu à peu le dessus sur celui de sa mère, et l’on se demande où la menace, pour elle, peut commencer. Au fil des 1h40, le corps d’Esther se couvre de griffures, puis de morsures, issues des crises incontrôlées de David. Des stigmates qui rentrent puissamment en écho lorsque la quadragénaire vit une courte romance avec un fermier chez qui elle travaille. Dans un mélange des genres gênant, les blessures de son fils et celles de son amant se confondent, murmurant cette idée : n’est-il pas temps qu’Esther vive à nouveau sa propre vie ?

Dans ce rôle, la performance d’Anna Geislerová est d’une incroyable finesse. D’un calme résigné, visiblement écrasée par la fatigue de sa vie de mère célibataire, elle oscille entre la douceur de ses silences, ses regards, et, plus tard, la force de ses pulsions de vie et envies de femme encore jeune. On reprochera a contrario à sa partenaire, Juliana Olhová dans le rôle de Zazu, un jeu un peu surfait, avec d’innombrables sourires à David qui sonnent parfois faux.

Tout, dans l’œuvre de Zuzana Kirchnerová, est en tout cas sensualité, et c’est sa grande qualité. L’ensemble de nos sens semble décuplés, comme si nous étions dans la peau de David (l’hypersensibilité sensorielle est un symptôme récurrent du handicap mental). La peau est filmée au plus près du grain, les caresses sont nombreuses, à la limite de l’impudeur ;  les bruissements des feuilles dans les arbres ou les roulements de la mer semblent plus intenses, tout comme la lumière. Un écrin qui bouscule, à la hauteur du sujet traité.

3.5

RÉALISATRICE : Zuzana Kirchnerová
NATIONALITÉS :  Italienne, slovaque, tchèque
GENRE : Drame
AVEC : Aňa Geislerovà, David Vostrčil, Juliana Olhová
DURÉE : 1h 40min
DISTRIBUTEUR : Les Alchimistes
SORTIE LE Date non communiquée