Caravage : un film académique célébrant la « force du pinceau »

Les films sur la peinture, notamment concernant d’illustres artistes, ont souvent été l’occasion (même un prétexte) de brosser le tableau d’une époque au-delà du portrait lui-même. Si certains se sont révélés être des œuvres majeures (on pense au Van Gogh de Pialat ou celui de Minnelli, à Ivre de femmes et de peinture de Im Kwon-Taek et plus récemment au splendide Michel-Ange de Andreï Konchalovsky), d’autres souffrent d’un certain académisme et d’une certaine lourdeur dans la représentation, ne laissant pas suffisamment percevoir l’originalité et l’importance du personnage mis à l’écran (Mr. Turner de Mike Leigh). Caravage se situe malheureusement dans la deuxième catégorie.

Le long métrage de Michele Placido (auteur du remarqué Romanzo Criminale) propose aux spectateurs de plonger dans la vie tumultueuse de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage (1571 – 1610), en insistant davantage sur les derniers mois de son existence.

Le long métrage de Michele Placido (auteur du remarqué Romanzo Criminale) propose aux spectateurs de plonger dans la vie tumultueuse de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage (1571 – 1610), en insistant davantage sur les derniers mois de son existence. En Italie, en 1609, accusé de meurtre, le peintre a fui Rome et s’est réfugié à Naples. Soutenu par la puissante famille Colonna, il tente d’obtenir la grâce de l’Église pour revenir à Rome. Le Pape décide alors de faire mener par un inquisiteur, l’Ombre, une enquête sur le peintre dont l’art est jugé subversif et contraire à la morale de l’Église.

On peut trouver néanmoins ce dispositif pas complètement inintéressant mais un peu lourd, et surtout, ne réglant en rien le problème qui guette assez vite le film : l’académisme.

L’intérêt d’un tel projet (qui est assez ancien si l’on en croit le cinéaste, remontant à la fin des années 60) réside à la fois dans la mise en images de l’histoire tourmentée du peintre, sa relation complexe avec les hommes et les femmes mais aussi dans la reconstitution de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, époque durant laquelle le style Renaissance laisse place au baroque. En effet, il n’est pas bien difficile de prétendre que la vie de Merisi ressemble parfaitement à un roman et, peut-être encore davantage, à une œuvre purement cinématographique, romanesque à souhait (dans le sens stricto sensu du terme). Le dessinateur et scénariste de BD Milo Manara en avait fait le sujet de son diptyque il y a de cela quelques années. Tous les ingrédients sont présents : exil, meurtre, mœurs libres, homosexualité, bagarres et beuveries. Peintre de génie mais au tempérament impétueux, anticonformiste, il est à l’origine d’une véritable révolution dans la peinture. Adulé tout autant que détesté (même jalousé), Caravage a travaillé pour l’Église en offrant une interprétation nouvelle des Saintes Écritures. Michele Placido souhaitait rendre toute l’authenticité de l’artiste, avec ses vices et ses vertus, son humanité profonde. Le film insiste beaucoup sur sa volonté de peindre le peuple dans ses tableaux : ses modèles pour les sujets religieux, Le Caravage les trouvait dans la rue, voleurs, prostituées ou vagabonds. Ce qui ne pouvait en faire qu’un artiste gênant pour l’Église, se justifiant en permanence de « chercher le réel » (une scène illustre ce propos, lorsque le pape découvre l’un des tableaux du maître, et s’étonne de l’absence d’anges, comme le prévoient les canons de l’Église). Cet aspect-là, Caravage le rend plutôt bien, aidé par la belle performance (habitée) de l’acteur transalpin, Riccardo Scamarcio. On saisit aussi le conflit interne et toute la complexité de l’individu. Son style (que l’on nommera plus tard « le caravagisme » et qui fera école avec Georges de La Tour par exemple) est aussi à l’honneur : à quelques reprises, on aperçoit Le Caravage au travail, en train de peindre (une attention a d’ailleurs été portée aux œuvres montrées, puisqu’elles ont été préparées sur des toiles dont les fonds ont été patinés au moment de l’impression, afin de rendre les textures beaucoup plus fidèles que de simples reproductions, plates). D’ailleurs, il est intéressant de noter que Placido tente, par sa mise en scène très « caravagesque », de restituer cette réalité picturale, faite de clair-obscur, de jeu d’ombres et de lumières avec utilisation d’un objectif particulier qui déforme les côtés par des courbes. On peut trouver néanmoins ce dispositif pas complètement inintéressant mais un peu lourd, et surtout, ne réglant en rien le problème qui guette assez vite le film : l’académisme. Ainsi, la mise en scène, à certains moments, apparait trop démonstrative et échoue alors à restituer à l’écran l’acte de création, l’essence même du génie. C’est également le cas dans le traitement des étapes de la vie de l’artiste : voulant probablement échapper à l’aspect « biographie Wikipédia » et briser la chronologie, le cinéaste fait des allers-retours finalement assez convenus, proposant dans le même temps quelques libertés avec la réalité (en la personne de Louis Garrel, en enquêteur mandaté par le pape). Une question se pose : pourquoi ne pas avoir choisi de filmer un moment précis et non l’intégralité de la vie de Merisi, à l’instar du choix (payant) opéré par Konchalovsky dans son Michel-Ange ? Il en va de même pour les décors. Si reconstituer la violence, la misère et la crasse de cette Italie du XVIe, XVIIe siècle et ainsi en donner une « image authentique » est tout à fait louable (tournage dans les studios de Cinecittà de Rome), le résultat reste décevant, même un peu terne, souffrant une fois encore de la comparaison avec l’œuvre déjà citée de Konchalovsky.

On peut trouver ce film assez banal dans sa mise en scène, sans réels éclats de génie, ce qui, finalement, est un comble pour une œuvre qui entend évoquer un peintre aussi subversif que révolutionnaire dans le style, épris de vérité et de foi.

Malgré un casting prestigieux sur le papier (aux côtés de Scamarcio et de Garrel, on retrouve Isabelle Huppert et Lolita Chammah), une histoire puissante liée à la personnalité même du Caravage, on peut trouver ce film assez banal dans sa mise en scène, sans réels éclats de génie, ce qui, finalement, est un comble pour une œuvre qui entend évoquer un peintre aussi subversif que révolutionnaire dans le style, épris de vérité et de foi.

2

RÉALISATEUR :   Michele Placido
NATIONALITÉ : Italie, France
GENRE :  Biopic historique
AVEC : Riccardo Scamarcio, Louis Garrel, Isabelle Huppert
DURÉE : 1h58
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 28 décembre 2022