A première vue, Cambio de sexo (Je veux être femme), pourrait être pris pour une simple reprise d’un classique espagnol. Or, sorti en Espagne en 1977, ce film précurseur de Vicente Aranda n’a eu droit à une unique projection au Marché du Film le 21 mai 1977, n’est jamais sorti en France et a donc été invisibilisé pendant quarante-cinq ans. C’est ainsi à une véritable résurrection de cette oeuvre que nous assistons grâce à la présentation de ce film, d’abord à L’Etrange Festival, puis au festival LGBTQ & ++++, Chéries-chéris puis à sa sortie en salle dans notre pays. Il s’agit donc d’une véritable première sortie française à ne pas manquer. A l’heure où Pedro Almodóvar (Tout sur ma mère) et Xavier Dolan (Laurence anyways) ont popularisé le thème de la transidentité, où la dysphorie de genre est ouvertement évoquée dans Petite fille de Sébastien Lifshitz ou traitée fictionnellement, encore récemment, dans Girl de Lukas Dhont, rendons à César ce qui appartient à César, Cambio de sexo peut revendiquer à juste titre avoir été le premier film sur le sujet de la transsexualité, en l’évoquant avec finesse, justesse et vérité, sans la moindre caricature.
En Espagne, dans les années soixante-dix, José Maria est un adolescent qui manque de virilité et se voit régulièrement moqué dans sa famille ou à l’école. Il finit par prendre conscience qu’il se sent mieux en s’habillant et en adoptant le comportement d’une femme….
Cambio de sexo peut revendiquer à juste titre avoir été le premier film sur le sujet de la transsexualité, en l’évoquant avec finesse, justesse et vérité, sans la moindre caricature.
Dans les idées reçues communément acceptées, est attribuée à Pedro Almodóvar la gloire d’avoir mis en lumière et donné une légitimité cinématographique à la communauté trans. C’est globalement vrai. Mais, dans les années soixante-dix, Almodóvar ne tournait pas encore. Il revient donc à Vicente Aranda l’immense mérite d’avoir tourné l’un des premiers (sinon le premier) film sur la transidentité, mettant en scène un adolescent souffrant de dysphorie de genre et qui essaiera tant bien que mal de vivre une vie en tant que femme, en chantant et dansant dans un cabaret de travestis. Aranda s’est inspiré de l’histoire réelle d’un jeune homme mort durant l’opération qui devait le conduire à un changement de sexe tant désiré. Le sujet est révolutionnaire et a sans nul doute choqué bien des Espagnols qui se relevaient à peine de la fin de la dictature franquiste. Ce faisant, Aranda a non seulement devancé Almodóvar mais également Fassbinder d’une petite année, L’Année des Treize lunes, bouleversant film fondateur sur la transsexualité ne datant que de 1978.
Aranda, nettement moins connu qu’Almodóvar, est pourtant l’auteur d’une oeuvre considérable, extrêmement ouverte sur les thèmes les plus divers. Cambio de sexo décrit avec sensibilité le cheminement d’un adolescent en perte de repères qui va finalement se réconcilier avec sa nature profonde, en devenant une femme. Aranda a eu du flair en confiant ce rôle périlleux à Victoria Abril qui a fêté son quinzième anniversaire sur le tournage. Son statut de muse almodovarienne sur trois films (Attache-moi, Talons aiguilles, Kika) a probablement occulté sa participation plus importante à celle de Vicente Aranda (quatorze films au total) qui a été quelque peu son père de cinéma. S’évertuant à paraître d’une neutralité sexuelle absolue au début du film, en n’affichant aucun signe spécifique de masculinité ou de féminité, Victoria Abril est, du début jusqu’à la fin, parfaite, donnant une consistance à ce personnage d’adolescent indéterminé et androgyne. A seulement quinze ans, elle parvient à être aussi crédible en garçon dépourvu de virilité qu’en danseuse flamboyante et sexy.
Dans Cambio de sexo, on remarquera également la présence intrigante de Lou Castel (Les Poings dans les poches de Bellochio, Prenez garde à la sainte putain de Fassbinder, La Naissance de l’amour de Garrel) et de la transsexuelle Bibi Andersen (à ne pas confondre avec Bibi Andersson, l’actrice bergmanienne) qui y tenait son premier rôle au cinéma, largement inspiré de sa vie. La photographie est signée Nestor Almendros, loin de ses collaborations rohmériennes, truffaldiennes ou malickiennes, qui filme avec sensibilité la transformation psychologique et physique de José Maria en Maria José, les plans explicites étant traités de manière subliminale. On pourra peut-être reprocher un manque d’audace, d’outrance ou de baroque mais il faudrait rappeler que le sujet en lui-même constituait une audace sans nom, une provocation à nulle autre pareille dans l’Espagne post-franquiste. Aranda filme de manière classique et peut-être un peu sage un sujet provocateur dont la provocation résonne encore aujourd’hui, pourra choquer des yeux trop chastes et contribuer utilement à l’ouverture des esprits et à l’évolution du cinéma.
RÉALISATEUR : Vicente Aranda NATIONALITÉ : espagnole GENRE : drame AVEC : Victoria Abril, Lou Castel, Bibi Andersen DURÉE : 1h48 DISTRIBUTEUR : Karmafilms distribution SORTIE LE 23 novembre 2022