Présenté au Festival de Cannes en 2021, Cahiers noirs est un hommage magnifique à la grande actrice et réalisatrice israélienne, Ronit Elkabetz, morte en 2016 à l’âge de 51 ans. Découpé en deux parties (qui sortent en salles le même jour) se complétant et dialoguant entre elles, ce documentaire signé Shlomi Elkabetz, le frère de Ronit, s’appuie sur des images d’archives personnelles, tournées depuis 25 ans par ce frère inconsolable de cette disparition.
Ce documentaire signé Shlomi Elkabetz, le frère de Ronit, s’appuie sur des images d’archives personnelles, tournées depuis 25 ans par ce frère inconsolable de cette disparition.
La première des qualités de cette œuvre, et pas des moindres, réside dans le montage : le cinéaste réussit le tour de force d’unifier le temps, de revisiter les archives et de les confronter entre elles, alors qu’elles apparaissent très disparates, tant sur le fond (archives familiales, extraits des films et making-off de la trilogie qu’ils ont tournée ensemble : Prendre femme, Les Sept jours, Le Procès de Viviane Amsalem) qu’au niveau de la forme (images VHS dans un style amateur très prononcé, puis des images de résolution bien meilleure). Un travail de montage qui a duré 4 ans, à raison d’environ 5 mois par an, soit 400 jours de montage pour assembler environ 600 heures de rushes, tournés avec différentes caméras sur plusieurs décennies.
Dès l’ouverture de la 1ère partie (intitulée « Viviane »), Shlomi Elkabetz tisse le parallèle entre la fiction (notamment le 1er volet de la trilogie) et la réalité, à savoir des films tournés dans le contexte familial. Ce procédé est passionnant à l’écran dans la mesure où il permet d’illustrer à quel point la réalité, le quotidien nourrit la fiction, et comment la fiction peut approfondir certaines figures du réel. C’est le cas ici notamment avec celles de la mère et du père de Ronit et Shlomi Elkabetz qui ont servi à dessiner les personnages de Viviane et Eliahou, couple fictionnel découvert dans Prendre femme, en 2005, et qui ne cesse de se déchirer. On apprend d’ailleurs que ce 1er film avait été réalisé par le frère et la sœur sans l’accord des parents, ce qui avait occasionné d’ailleurs de violentes discussions dont le spectateur est témoin.
Mais, même lors des moments les plus intimes captés par Shlomi, jamais le documentaire ne sombre dans le pathos, la complaisance (face au cancer qui ronge la comédienne) ou le voyeurisme. C’est un film qui dévoile des choses mais de manière pudique […]
La 2e partie, intitulée « Ronit » poursuit cette démarche (et fait donc correspondre Viviane, personnage de fiction avec Ronit, nom de l’actrice dans la réalité) mais est centrée sur le 3e film de la trilogie, l’excellent « Le Procès de Viviane Amsalem » (2014). Si la relation avec les parents semble moins conflictuelle, c’est la maladie qui fait son apparition, celle de Ronit qui constitua un sérieux handicap pour elle sur le tournage. Mais, même lors des moments les plus intimes captés par Shlomi, jamais le documentaire ne sombre dans le pathos, la complaisance (face au cancer qui ronge la comédienne) ou le voyeurisme. C’est un film qui dévoile des choses mais de manière pudique, sans jamais s’appesantir, une sorte de catharsis pour son auteur, une façon pour lui de « faire son deuil ». Il est à la fois une célébration de la vie, un cri d’amour douloureux à une sœur chérie, dont la disparition est difficilement acceptée, et avec laquelle la complicité était totale, jusqu’au point d’habiter avec elle à Paris pendant de nombreuses années : la 1ère partie du film débute d’ailleurs dans l’appartement parisien qu’ils ont occupé tous les deux, mais vide – on sent immédiatement le poids de l’absence, souligné également par l’utilisation géniale en leitmotiv de la musique de Bernard Herrmann composée pour le chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock, Vertigo. Ce choix n’est pas dû au hasard bien entendu, puisqu’il reprend cette idée forte du fantôme de la femme aimée qui hante le personnage principal. Cette 2e partie est ainsi plus mélancolique, plus douloureuse aussi, mais elle touche littéralement au cœur le spectateur.
Il est à la fois une célébration de la vie, un cri d’amour douloureux à une sœur chérie, dont la disparition est difficilement acceptée […]
Finalement, ce documentaire constitue le plus bel hommage que l’on puisse rendre à une actrice, réalisatrice, mais aussi à une sœur que l’on ne peut oublier et dont le frère Shlomi ne peut se résoudre à ne plus partager sa vie. A ce titre, la lecture que ce dernier fait régulièrement dans le film des cahiers personnels de Ronit constitue des moments bouleversants qui peuvent résumer cette œuvre formellement originale et magnifique.
RÉALISATEUR : Shlomi Elkabetz NATIONALITÉ : Israël AVEC : Ronit Elkabetz, Shlomi Elkabetz GENRE : Documentaire DURÉE : 1h48 / 1h40 (2 parties) DISTRIBUTEUR : Dulac Distribution SORTIE LE 29 juin 2022