Après Un pays qui se tient sage de David Dufresne en 2020 et Un Peuple d’Emmanuel Gras, les Gilets Jaunes se sont vus devenir des sujets importants pour le cinéma documentaire. Mais que reste-t-il à raconter, 4 ans après les premières manifestations, sur ce mouvement inespéré qui marqua à jamais l’histoire du pays ? Là où David Dufresne confrontait différentes personnes (manifestants, policiers, sociologues…) à des images des manifestations, Emmanuel Gras, lui, choisissait de faire le portrait d’un mouvement contestataire qui réunissait les gens et créait une nouvelle sociabilité.
Laurie Lassalle, elle, pour son premier long-métrage, choisit de se concentrer sur sa rencontre avec Pierrot, un jeune Gilet Jaune qu’elle suivra dans toutes ses manifestations, entre discussions politiques, amour naissant et militantisme radical.
La réalisatrice offre donc un regard croisé à son documentaire, faisant en sorte que la colère et l’amour ne fassent plus qu’un.
Au fur et à mesure, plus les cris et la colère grandissent, c’est un sentiment auquel on ne s’attendait pas qui naît, celui de l’amour. L’amour naissant entre Pierrot et Laurie, la réalisatrice, intègre l’insurrection ambiante et se conjugue à l’insoumission qui les fait se rencontrer en premier lieu. C’est via cette « piste scénaristique » (qui n’en est pas vraiment une puisque non fictionnée), que Laurie Lassalle nous prend de court. Car cette relation est évidemment spontanée, et fait prendre au documentaire un tournant bien différent, que la réalisatrice vit, à l’aveugle, en même temps que nous. De fait, elle renverse les codes auxquels on se serait attendus pour une telle œuvre et brise la frontière que représente son statut de réalisatrice : elle se filme, se confie et se confesse, parle ouvertement de ses sentiments, lui des siens, et donc met en scène involontairement (ou pas) son histoire. Sa voix, calme et posée, vient ponctuer à la fois les variations de leur amour et celles des manifestations des Gilets Jaunes. La réalisatrice offre donc un regard croisé à son documentaire, faisant en sorte que la colère et l’amour ne fassent plus qu’un.
Pour autant, il ne faut pas croire que le film ait pour sujet principal cette histoire de sentiments. Car si le « Boum Boum » du titre fait référence aux battements d’un cœur qui s’emballe de passion, il est surtout l’expression sonore des explosions et des tirs des manifestations. Le grand paradoxe de Boum Boum, qui fait aussi sa force, c’est sa façon de favoriser la discussion avec les intervenants de passage tout en rappelant un message clair et net : l’unique solution viable est la révolte, violente et contestataire. Car au gré du documentaire, Laurie et Pierrot donnent la parole à un large éventail de personnes, les laissant exprimer leurs opinions sur le mouvement, sans jamais oublier d’amener une contradiction souvent bienvenue (une scène demeure dans nos esprits, où deux vieux hommes, campés sur leurs privilèges, essaient tant bien que mal de critiquer ces jeunes aux convictions politiques plus fortes que les leurs).
Finalement, Boum Boum porte aux nues tous les aspects du mouvement des Gilets Jaunes que l’on met en avant depuis des années : le lien que la colère crée entre ceux qui la partagent, la fracture générationnelle et sociale qui rythme le débat et transforme trop souvent celui-ci en dialogue de sourds, et l’arrivée sur la place publique d’un nouveau langage, d’un nouveau français, parsemé de fautes et d’hésitations, celui qu’on n’entendait d’ordinaire jamais sur les plateaux télé car immédiatement moqué (« Je parle même pas bien français, mais je m’en fous » déclare un boulanger devant la caméra de Laurie Lassalle).
Le documentaire finit donc par souligner joliment des idées dont on avait déjà conscience. On n’en ressort pas transcendé, mais Boum Boum offre tout de même un moment important à qui est ouvert à la discussion, et à qui est prêt à faire la révolution.
RÉALISATEUR : Laurie Lassalle NATIONALITÉ : France GENRE : Documentaire DURÉE : 1h50 DISTRIBUTEUR : JHR Films SORTIE LE 15 juin 2022