Bohemian Rhapsody : we are the champions

Sur le papier, le projet d’un biopic de Freddie Mercury et du groupe Queen, l’un des meilleurs groupes britanniques de rock de tous les temps, semble déjà être promis à une réussite certaine. Un personnage extravagant ainsi qu’une bande-son gonflée de tubes planétaires, permettaient déjà de remplir par avance la moitié du contrat d’un biopic intéressant. Restait la dimension personnelle que pouvait y insuffler un Bryan Singer, bisexuel comme Freddie Mercury, soupçonné d’agressions sexuelles et de débauche et pris dans la tourmente #metoo, consécutive à l’affaire Weinstein. Singer, qui, malgré un certain nombre de films réussis, de Usual Suspects à la franchise des X-Men, n’a jamais été un cinéaste très personnel, pouvait y trouver l’occasion de tourner son plus beau film, l’œuvre la plus révélatrice de sa psyché. Qu’en est-il réellement?

Bohemian Rhapsody retrace le destin extraordinaire du groupe Queen et de leur chanteur emblématique Freddie Mercury, qui a défié les stéréotypes, brisé les conventions et révolutionné la musique. Du succès fulgurant de Freddie Mercury à ses excès, risquant la quasi-implosion du groupe, jusqu’à son retour triomphal sur scène lors du concert Live Aid, alors qu’il était frappé par la maladie, la vie exceptionnelle d’un homme qui continue d’inspirer les outsiders, les rêveurs et tous ceux qui aiment la musique.

Cette dernière demi-heure, où Singer balance tout souci de dramaturgie et de narration, constitue en soi un petit morceau d’anthologie, où le spectateur a réellement l’impression d’assister en direct, de manière cataclysmique, à la meilleure prestation live de tous les temps, et où Queen, le temps de ce concert, a sans doute été le meilleur groupe de rock du monde.

Bohemian Rhapsody se concentre en fait sur la première partie de la carrière du groupe Queen, de ses tout débuts, en commençant par le recrutement de Freddie Mercury comme chanteur, au départ immigré pakistanais sous le nom de Farrouk Bulsura, jusqu’à l’apogée de sa carrière, en 1985, le Live Aid à Wembley pour les enfants africains, retransmis à la télévision pour des millions de téléspectateurs, prestation depuis connue comme « la meilleure prestation live de tous les temps ».

Or, même s’il ne couvre qu’une petite quinzaine d’années, on sent que Singer va vite, un peu trop vite. Il choisit d’évacuer l’enfance de Freddie Mercury et ses traumas éventuels et ne s’attarde guère sur les relations de Freddie avec ses collègues du groupe ni surtout sur son histoire d’amour avec Mary. On sent surtout qu’il manque de temps, le film étant un peu déséquilibré par la place laissée au morceau de bravoure final (nous y reviendrons). Pourtant, s’il n’approfondit véritablement aucun personnage, y compris le personnage principal, Singer parvient tout de même à donner toute sa dimension à la composition ébouriffante et bluffante de Rami Malek (Mr Robot) qui campe un Freddie Mercury plus vrai que nature. Il faut noter que Singer a eu la bonne idée de conserver intégralement les chansons de Queen, telles qu’elles ont été enregistrées, limitant les efforts de chant de Malek au strict minimum du play-back. La voix de Freddie Mercury, contrairement à beaucoup d’autres, étant particulièrement inimitable, ce piège a été ainsi évité avec astuce par Bryan Singer.  

Néanmoins, on aurait pu espérer un film plus dramatique et personnel de sa part, car on restera quasiment tout le temps aux portes de l’intériorité de Mercury, sans pouvoir comprendre ses choix sexuels, sa confusion mentale ou son courage soudain. En effet, le message du film consistera à montrer que la conscience de sa mort va enfin donner un sens à sa vie et la transformer en destin. Or, même si cette cheville scénaristique est un peu erronée historiquement (Mercury n’apprendra être atteint du SIDA qu’en 1987 et non en 1985, année du Live Aid), le principal problème de Bohemian Rhapsody réside surtout dans sa superficialité. La musique l’emporte sur les personnages, et c’est dans un certain sens, une bonne chose.

Car, si l’on s’en tient strictement à la musique, le film est proprement éblouissant, par sa reconstitution de la création de chansons immortelles (la chanson-titre, We will rock you ou encore Another bites the dust) et surtout son point culminant, le concert de Queen pour Live Aid, recréé en intégralité et occupant donc la dernière demi-heure du film, soit quasiment un quart du film, ce qui explique l’aspect un peu brouillon et confus du reste. Tout se passe comme si, dans le même ordre d’idées que First Man, autre biopic récent, le film tendait essentiellement vers ce morceau de bravoure final, où chaque détail est recréé avec exactitude et précision. Il faut alors reconnaître que cette dernière demi-heure, où Singer balance tout souci de dramaturgie et de narration, constitue en soi un petit morceau d’anthologie, où le spectateur a réellement l’impression d’assister en direct, de manière cataclysmique, à la meilleure prestation live de tous les temps, (on y entend entre autres Radio Gaga, la chanson qui a donné son nom à la chanteuse que l’on sait et We are the Champions qui donnera toujours des frissons aux fans de football) et où Queen, le temps de ce concert, a sans doute été le meilleur groupe de rock du monde. Si on ajoute certaines séquences comiques très réussies (la réunion où Queen essaie en vain de convaincre son producteur de choisir Bohemian Rhapsody comme premier single, la réunion de réconciliation forcée des membres du groupe), ainsi que le fait qu’il fasse bien appréhender que Queen était composé de personnalités parfaitement complémentaires et irremplaçables, (cette fameuse alchimie d’un groupe, chaque membre apportant sa pierre à l’édifice), on comprendra que ce film demeure un biopic relativement réussi dans l’ensemble, ne dépassant malheureusement pas les atouts de départ et faisant regretter le grandiose film queer qu’il promettait d’être et qu’il aurait dû être. Néanmoins, tel quel, il reste un beau témoignage vibrant et revigorant sur la musique inoubliable du groupe Queen et cette personnalité hors normes qu’était Freddie Mercury.

3.5

RÉALISATEUR :  Bryan Singer
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Rami Malek, Joseph Mazzello, Lucy Boynton
GENRE : Biopic, film musical
DURÉE : 2h15
DISTRIBUTEUR : 20th Century Fox
SORTIE LE 31 octobre 2018