Black Mirror Saison 6 : Black Mirror est horrible

 

On avait quitté Black Mirror en juin 2019. Souvenez-vous, c’était une autre époque, on jouait à se faire peur en regardant dans Black Mirror des « paraboles modernes sur le thème des réseaux sociaux, des nouvelles technologies et des progrès de l’intelligence artificielle« . Tel était le programme annoncé par Charlie Brooker, le showrunner de génie de la série anthologique britannique. Depuis la pandémie de Coronavirus est passée par là, ressemblant à un véritable épisode live de Black Mirror, que tout un chacun a traversé tant bien que mal, avec son lot de disparitions, de dépressions et de remises en question. Pour être tout à fait honnête, la saison 5 de Black Mirror était assez décevante avec des épisodes mi-figue mi-raisin (une bromance virtuelle, une critique molle des réseaux sociaux, une satire de l’univers de la chanson pop) ; on y percevait une certaine lassitude de Charlie Brooker d’écrire sur les dérives de la technologie et on s’inquiétait dès lors légitimement de l’avenir de la série anthologique britannique diffusée sur Netflix. Depuis la pandémie, Black Mirror était-elle devenue dépassée? Le monde était-il devenu déjà trop effrayant par rapport à cette série dystopique? Charlie Brooker le sentait plus ou moins, se mettant en mode pause et exprimant à voix haute en 2020 qu’il ne savait pas si les gens allaient pouvoir supporter une saison de Black Mirror supplémentaire. Quatre ans ont donc passé. Le 15 juin 2023, la saison 6 de Black Mirror a livré ses cinq nouveaux épisodes et à un épisode près, c’est une complète réussite, certainement la meilleure saison de la série depuis la saison 3 ou 4, où Charlie Brooker accomplit de discrets recadrages : moins de stars (pas de Jon Hamm ou de Miley Cyrus à l’interprétation, plus de Jodie Foster à la réalisation), prime à la diversité (trois épisodes sur cinq affichent des acteurs indiens ou noirs en vedette), moins d’épisodes (cinq au lieu de six pour les saisons 3 et 4, si l’on omet la saison 5, et ses 3 épisodes synonymes de creux d’inspiration) et surtout moins de références à la technologie qui, de toute manière, ne représentait qu’un des thèmes -et non le principal, même si l’un des plus marquants – de Black Mirror. Comme l’énonce Charlie Brooker, « Black Mirror, quand ce n’est pas une satire technologique, c’est une satire médiatique ». C’est véritablement devenu la satire de notre monde.

Dans l’épisode 1, Joan est horrible, une femme ordinaire s’aperçoit qu’un service de streaming a adapté sa vie pour en faire une série à destination de ses milliards d’abonnés. Loch Henry (épisode 2) montre un couple de documentaristes qui décide de changer de sujet de film et de se consacrer à la vie d’un serial-killer, non sans risques et périls. Mon coeur pour la vie (épisode 3) effectue une relecture alternative de l’année 1969 où des astronautes doivent face à un drame survenu sur Terre. Mazey Day (épisode 4) interroge sur la chasse ouverte des paparazzi envers certaines stars de cinéma. Enfin, Demon 79 (épisode 5) se concentre sur une tueuse en série malgré elle, en proie à des interventions d’un démon et en lutte contre le racisme qui l’environne dans l’Angleterre de la fin des années 70.

Black Mirror saison 6 ne se focalise donc plus sur la technologie et les inventions qui peuvent en découler mais sur les médias et les thèmes qui nous entourent : les plateformes, les serial-killers, les réseaux sociaux.

Avec cette sixième saison, Charlie Brooker opère un virage conséquent pour rappeler les fondamentaux de Black Mirror. La technologie, présente surtout dans les épisodes 1 (le filmage instantané en numérique de la série) et 3 (les répliques des astronautes leur permettant de passer un moment sur Terre), ne représente qu’un aspect de la série. Black Mirror est tout autant, sinon bien davantage, une série sur la critique sociétale et médiatique de notre monde, que sur ses dérives technologiques. Ce faisant, Brooker recentre véritablement son propos, en faisant la satire de Netflix, via Streamberry un plateforme de diffusion, reprenant en tous points les logos visuels et sonores de son diffuseur, dans Joan est horrible. On ne peut que rire aux éclats en entendant le fameux « tadam » qui introduit les programmes de la plateforme. Brooker vise et touche juste en créant ce programme imitant les faits et gestes d’une spectatrice, de la simili-fiction imitant la télé-réalité, idée de génie qui va aspirer la vie de l’héroïne dans un processus de spirale descendante qui n’est pas sans rappeler l’épisode mémorable, Chute libre, avec Bryce Dallas Howard. Idem lorsqu’il va parodier dans Loch Henry les documentaires ou séries inspirées de la vie de serial-killers, nous interrogeant sur notre fascination malsaine pour ce type de phénomènes.

L’épisode 3, le plus long de la saison avec le dernier, Mon coeur pour la vie, revisite la tuerie de la villa Polanski en 1969 par la secte de Charlie Manson en l’appliquant à un astronaute qui, de service dans l’espace, délègue à une réplique, grâce à une connexion, le soin de visiter sa famille. Comme dans les saisons 3 et 4, c’est l’épisode le plus sentimental et mélodramatique, évoquant San Junipero ou Pendez le DJ. Charlie Brooker y montre une sensibilité qu’il cache souvent dans ses autres histoires où il se repose davantage sur l’ironie ou le cynisme satirique. Interprété au cordeau par l’excellent Aaron Paul dans un double rôle, l’épisode prend délicatement son temps, permettant d’engendrer une réelle émotion, pour parvenir jusqu’à une fin absolument inattendue.

Après un tel sommet de fiction, l’épisode 4 apparaît comme le seul véritable point faible de la saison, reprenant une histoire banale de lycanthropie qui n’aurait pas déparé dans un épisode de X-Files. Certes, le thème des photographes détruisant la vie des stars n’est pas dépourvu d’intérêt mais existe depuis Paparazzi du regretté Jacques Rozier ou Vie privée de Louis Malle. On peut d’ailleurs regretter que l’épisode n’ait pas suivi le point de vue assez prometteur de la photographe sur les comportements répréhensibles de ses collègues.

Heureusement, la saison 6 se conclut par un joyeux feu d’artifices, Demon 79, l’épisode rétro de la saison, où Charlie Brooker mixe différentes références avec bonheur : la vie de Herbert Mullin, influencé dans ses meurtres par la terreur d’éviter l’Apocalypse, Knock the cabin de Shyamalan, La Vie est belle de Frank Capra (avec le personnage du démon Gaap, antithèse de l’ange Clarence), Taxi Driver de Scorsese et Dead Zone de David Cronenberg (Nida la modeste vendeuse de chaussures se haussant au niveau de Sauveur de l’Humanité, face à un homme politique hypocrite, faussement conservateur mais réellement raciste). Toutes ces références se fondent merveilleusement dans un humour ravageur, accompagné des musiques symptômatiques de la fin des années 70, signées par Boney M. (Rasputin, Ma Baker), Madness (One step beyond) ou Lene Lovich (Lucky number). Cet épisode de conclusion de la saison rappelle par sa profusion d’idées certains autres épisodes patchwork comme Blanc comme neige ou Black Museum, à la différence près qu’il est mû par ce message de lutte anti-raciste qui se trouve discrètement en toile de fond des meurtres commis par Nida. Cet épisode fait également écho au thème décidément prégnant du serial-killer déjà traité de manière différente, plus documentaire, dans Loch Henry ou plus cauchemardesque, dans Mon coeur pour la vie .

Black Mirror saison 6 ne se focalise donc plus sur la technologie et les inventions qui peuvent en découler mais sur les médias et les thèmes qui nous entourent : les plateformes, les serial-killers, les réseaux sociaux. L’invention technologique (la doublure numérique, la réplique) passe au second plan derrière le retentissement psychologique des obsessions qui nous dévorent le cerveau. Comme l’indique Charlie Brooker, « je me suis toujours dit que la série n’énonce pas que la technologie est mauvaise, la série exprime que les gens sont foutus. » Black Mirror est horrible mais ce n’est qu’un miroir, c’est en fait le monde qui est horrible.

4.5

CREATEUR : Charlie Brooker 
NATIONALITÉ :  britannique
GENRE : fiction dystopique 
AVEC : Salma Hayek, Annie Murphy, Michael Cera, Daniel Portman, Aaron Paul, Josh Harnett, Kate Mara 
DURÉE : 6 épisodes entre 53 mn et 1h15 
DISTRIBUTEUR : Netflix 
SORTIE LE 15 juin 2023