Pour certains films, l’enjeu ne réside pas dans un prix célébrant une vision exigeante d’auteur mais dans des récompenses concernant des éléments distinctifs et séparés. Autant nous pouvions nous plaindre de la sélection fort mal appropriée du Retour de Catherine Corsini, autant Thierry Frémaux peut parfois nous surprendre positivement en retenant des oeuvres assez éloignées du logiciel cannois, à la lisière du cinéma commercial et du film de genre. Black Flies de Jean-Stéphane Sauvaire en fait partie. En dépit d’une thématique a priori peu originale, empruntant à A tombeau ouvert ou Urgences, Jean-Stéphane Sauvaire parvient à rendre assez magistral cet hommage un peu attendu aux anges gardiens urgentistes, en plongeant dans la boue, la douleur et le chagrin, grâce à une mise en scène hallucinatoire et exceptionnelle, parfait écrin pour la prestation habitée de Tye Sheridan qui trouve ici le plus beau rôle de sa carrière d’adulte.
À New York, le jeune ambulancier Ollie Cross fait équipe avec le très expérimenté Gene Rutkovsky. Faisant des études pour devenir médecin, le jeune homme va découvrir les risques du métier et être confronté à l’enfer quotidien de la violence et de la détresse humaine. Cela va le pousser à revoir sa vision de la vie.
C’est ce combat sans cesse renouvelé entre la lumière et les ténèbres que met en scène Jean-Stéphane Sauvaire, un combat qui, par la grâce de sa mise en scène, brille ici de tous ses feux.
Avec Black Flies, Jean-Stéphane Sauvaire s’exerce sur le terrain du maître Scorsese qui, grâce à un scénario signé Paul Schrader, avait donné une vision noire et désespérée de l’enfer vécu par les urgentistes new-yorkais. D’une certaine manière, Sauvaire va même plus loin, proposant une description d’un New York livré à la putréfaction et à l’autodestruction. Montage haché et efficace, caméra à l’épaule, gros plans révélateurs. Sauvaire déploie tout l’arsenal de sa mise en scène et parvient ainsi à transcender brillamment ce qui n’était au départ qu’un pur film de genre. On pense parfois à l’opération de transsubstantiation effectuée par Damian Szifron dans Misanthrope ou par Nicolas Winding Refn dans le film-culte Drive. Sans aller jusque-là, Sauvaire joue la carte de sa mise en scène avec brio, se livrant à un brillant exercice de style, à côté d’un scénario un peu convenu et répétitif. Il se permet même un hommage final à Terrence Malick, le générique reprenant le thème de Wagner utilisé au début du Nouveau Monde.
Mais cette mise en scène est surtout un parfait véhicule pour les prestations habitées de Tye Sheridan et Sean Penn, en urgentistes tourmentés par leur conscience et leur sens de l’empathie. Tye Sheridan, en particulier, trouve dans Black Flies le plus beau rôle de sa carrière d’adulte, époustouflant de douleur intériorisée et d’émotion contenue. Il donne toute sa mesure de comédien dans cet hommage aux anges gardiens urgentistes qui, environnés par les ténèbres, se laissent parfois envahir par elles. Comme l’indique le carton final, il existe bien plus de suicides d’urgentistes que de morts en mission. « La mort, les morts et nous« , comme l’indique le personnage de Sean Penn, ce sont les forces en présence qui s’affrontent dans un cérémonial tragique. C’est ce combat sans cesse renouvelé entre la lumière et les ténèbres que met en scène Jean-Stéphane Sauvaire, un combat qui, par la grâce de sa mise en scène, brille ici de tous ses feux.
RÉALISATEUR : Jean-Stéphane Sauvaire NATIONALITÉ : américaine GENRE : thriller, drame AVEC : Sean Penn, Tye Sheridan, Katherine Waterston, Michael Pitt DURÉE : 2h DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport SORTIE LE 3 avril 2024