Projeté dans le cadre de la section Cannes Classics au dernier Festival de Cannes, ce long métrage documentaire, signé Jon Asp et Mattias Nohrborg, permet de (re)découvrir l’œuvre d’un cinéaste suédois majeur, quelque peu tombé dans un oubli relatif. Sorti quelques semaines après la reprise en salles de 11 films de Widerberg, soit l’essentiel de sa filmographie (à l’initiative du distributeur Malavida Films), il constitue une parfaite introduction pour le cinéphile désireux d’en savoir davantage sur cet artiste insaisissable et moderne.
il constitue une parfaite introduction pour le cinéphile désireux d’en savoir davantage sur cet artiste insaisissable et moderne.
Being Bo Widerberg raconte l’histoire d’un réalisateur capital reconnu mais oublié qui, dans l’ombre d’Ingmar Bergman, est devenu le cinéaste suédois le plus influent du pays. Il retrace la vie de Widerberg, depuis ses débuts dans les années 60, écrivain en herbe issu de la classe ouvrière de Malmö et sévère critique cinématographique du cinéma suédois contemporain, jusqu’à l’apogée de sa carrière de réalisateur, enraciné à Stockholm, primé à Cannes et à New York. Il illustre également les conséquences de sa carrière – ou plutôt de sa quête passionnée d’une vie intense – sur ses collaborateurs artistiques, sa famille et sur lui-même.
Being Bo Widerberg est construit de manière classique, le récit étant linéaire : on y retrouve de manière assez attendue des interviews d’acteurs, de collaborateurs, de membres de la famille, d’autres cinéastes tels Olivier Assayas, Mia Hansen-Løve, Roy Andersson ou Ruben Östlund ainsi que des images d’archives comme celles montrant Wideberg à Cannes. Ce dernier point est finalement le plus intéressant puisqu’il rappelle la présence du Suédois sur la Croisette pour plusieurs de ses longs métrages parmi lesquels Elvira Madigan (1967), Ådalen 31 (1969) ou encore Joe Hill (1971), ces deux derniers ayant même obtenus respectivement le Grand Prix et le Prix du jury.
Ce qui constituera d’ailleurs sa source d’inspiration principale : la recherche d’un cinéma plus libre (laissant une place non négligeable à l’improvisation) et réaliste, tout en restant profondément ancré dans la culture ouvrière suédoise.
Dans ce genre de production, il et toujours intéressant de noter la part accordée à la vie privée, surtout lorsqu’elle explique pour partie le parcours d’un auteur (ici quelque peu chaotique) ainsi que sa méthode de travail, notamment son rapport aux autres. Le documentaire révèle alors un homme en perpétuelle contradiction, souvent au détriment de sa vie personnelle : il montre combien la quête artistique de Bo Widerberg a affecté profondément ses proches et les gens qui ont travaillé avec lui. Né à Malmö dans une famille très modeste, Bo Widerberg quitte le collège et après plusieurs petits boulots devient critique artistique puis écrivain. Fasciné par la Nouvelle Vague française (notamment François Truffaut) et bouleversé par Shadows de John Cassavetes, il se lance dans une carrière de cinéaste, tout en n’hésitant pas à qualifier le cinéma de Bergman de bourgeois et très éloigné des préoccupations quotidiennes des Suédois. Ce qui constituera d’ailleurs sa source d’inspiration principale : la recherche d’un cinéma plus libre (laissant une place non négligeable à l’improvisation) et réaliste, tout en restant profondément ancré dans la culture ouvrière suédoise. Dans Le Quartier du Corbeau (1964), il met ainsi en scène les effets de la Grande Dépression en Suède en 1936 à travers l’histoire d’un jeune homme fuyant la misère pour devenir écrivain. Dans Ådalen ’31, il prend appui sur un fait historique bien réel : au cours d’une grève déclenchée à Ådalen, au nord de la Suède, en 1931, la région entière est paralysée et la direction d’une usine doit faire appel à des briseurs de grève pour assurer la production. Cela provoque des émeutes, durement réprimées par l’armée, causant morts et blessés. Il choisit dans le même temps d’insérer une histoire d’amour entre le fils d’un docker et la fille du directeur d’usine. Drame social et luttes des classes sont enchâssés dans un mouvement que l’on peut qualifier d’impressionniste, s’identifiant au réalisme social poétique. Ces deux exemples témoignent à eux seuls de l’exigence du cinéaste tout comme de son engagement à travers son art.
Being Bo Widerberg se révèle être un bel hommage à ce réalisateur à la personnalité complexe et tourmentée (des problèmes de dépression récurrents), passionné et impulsif
Being Bo Widerberg se révèle être un bel hommage à ce réalisateur à la personnalité complexe et tourmentée (des problèmes de dépression récurrents), passionné et impulsif à la fois comme en témoignent des extraits filmés sur les plateaux de tournage et dans lequel il malmène quelque peu l’une de ses comédiennes. Il connut pourtant une traversée du désert dans les années 80 et au début des années 90, éclipsé par le maître Ingmar Bergman, malgré de remarquables longs métrages comme Le Chemin du serpent (1986) ou le sublime La Beauté des choses (1995), récompensé à Berlin et nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Il est donc urgent de redécouvrir Bo Widerberg !
RÉALISATEURS : Jon Asp, Mattias Nohrborg NATIONALITÉ : Suède GENRE : Documentaire AVEC : Bo Widerberg, ses collaborateurs, ses proches, Olivier Assayas, Mia Hansen-Love, Roy Anderson, Ruben Östlund... DURÉE : 1h45 DISTRIBUTEUR : Malavida Films SORTIE LE 2 juillet 2025