Basic Instinct : Le Diable au corps

La scène est culte : interrogée par la police qui la suspecte d’avoir assassiné son amant, Catherine Tramell décroise les jambes avant de les recroiser, dévoilant allègrement le fait qu’elle ne porte pas de culotte. Visages nerveux des policiers qui ne savent plus où se mettre. Ils sont pourtant à leur place et elle ne l’est pas. Mais Catherine Tramell semble à l’aise partout et dans toutes les tenues. Femme à la sensualité étouffante, cette romancière manipulatrice, froide et bisexuelle, ne bronche même pas quand elle passe le détecteur de mensonges. En même temps, elle le dit bien, il faudrait être sacrément stupide pour assassiner quelqu’un de la même manière qu’elle le décrit dans son roman : avec un pic à glace durant l’acte sexuel. Et stupide, Catherine ne l’est pas. Nick Curran, inspecteur de police de San Francisco est lui aussi loin d’être bête. Policier au lourd passé (une fusillade ayant causé la mort de touristes alors qu’il était sous cocaïne) avec une certaine attirance pour le danger, il sait bien que les résultats du détecteur de mensonges ne prouvent rien : il est lui-même passé au travers. Alors, au péril de sa carrière, Nick suit la piste Tramell pour ne plus la lâcher, quitte à tomber dans les bras et dans les draps de la vénéneuse romancière…

Dans la filmographie de Paul Verhoeven, Basic Instinct est un film important. Important parce que le cinéaste accède avec ce film à un statut privilégié à Hollywood. Après Total Recall, il réalise avec Basic Instinct l’un des cartons du box-office de l’année 1992 avec 352 millions de dollars de recette mondiale. Au passage, il offre également à Sharon Stone le statut de sex-symbol, marquant les esprits des cinéphiles du monde entier. Accédant à la célébrité après quelques petits rôles (dont un dans Total Recall), Sharon Stone livre l’une de ses meilleures prestations (l’autre étant son rôle de Ginger dans Casino) dans le rôle de Catherine Tramell. Ce n’était pourtant pas à elle que l’on avait pensé en premier mais la complexité du rôle et sa crudité (les scènes de sexe sont nombreuses et largement montrées) en ont fait fuir plus d’une (dont Kim Basinger et Michelle Pfeiffer).

Puzzle habile et mystérieux, Basic Instinct représente non seulement la quintessence du style Eszterhas (qui fit des thrillers sulfureux son fond de commerce de manière souvent habile) mais permet aussi à Verhoeven de dévoiler l’efficacité de sa mise en scène sans en faire trop, épousant parfaitement un sujet taillé pour lui en offrant au passage l’écrin parfait à la sensualité de Sharon Stone et au talent monstre de Michael Douglas.

Aujourd’hui, on imagine difficilement le film sans Stone tant sa présence a imbibé l’écran de sensualité et d’érotisme. Impossible de sortir indemne du film, impossible de ne pas être fasciné par ce personnage vénéneux dont on ne sait pas si on voudrait tomber dans ses griffes ou les éviter à tout prix. Si Sharon Stone immortalise le rôle, Verhoeven a volontiers confié qu’il a du redoubler d’attention pour obtenir le meilleur de son actrice. Lors de son passage à Paris en février dernier pour une Master-Class à la Cinémathèque, il racontait à quel point les prises se multipliaient pour les scènes de Stone et il saluait le travail du monteur Frank J. Urioste qui a réussi à tirer le meilleur d’une multitude de prises différentes. Une telle attention portée à Stone rendit même un peu jaloux Michael Douglas sur lequel Verhoeven ne s’attardait pas plus de trois ou quatre prises. Et pour cause déclare Verhoeven : ‘’Michael était rapidement bon, je lui ai dit qu’on pouvait faire plus de prises s’il le voulait mais que ça ne servait à rien puisqu’il était bon tout de suite’’. En effet, il serait largement injuste de louer l’hypnotisante prestation de Stone sans parler de celle de Douglas. Impeccable quand il joue les personnages au bord de l’abysse, il campe un Nick Curran de plus en plus nerveux, toujours prêt à craquer. Son personnage est celui d’un flic rongé par les démons et qui n’a besoin que d’une seule petite poussée pour sombrer dans la paranoïa et la violence. C’est un homme qui aime le danger et qui est prêt à coucher avec la principale suspecte de son affaire sans préservatif ! A l’époque où le SIDA fait des ravages, Verhoeven et son scénariste osent la provocation jusqu’au bout et ce jusque dans les dialogues, incisifs de bout en bout.

Car avant d’être un film de Paul Verhoeven, il faut souligner que Basic Instinct est un scénario écrit par Joe Eszterhas. Un scénario vendu pour 3 millions de dollars lors d’une guerre aux enchères à Hollywood qui fit des émules. Une première pour un scénario ! Scénariste de FlashdanceMusic Box ou A double tranchant, Eszterhas est un type qui n’a pas la langue dans sa poche et qui n’hésite pas à claquer la porte du tournage quand Verhoeven et lui ne peuvent s’entendre sur certaines modifications. Il faut dire que le film est soumis à certaines pressions, notamment de certaines ligues LGBT qui déplorent que Tramell, froide, manipulatrice et bisexuelle, donne une mauvaise image d’une partie de leur communauté. Verhoeven, fidèle à son habitude, n’en tient guère rigueur et filme comme si de rien n’était. Le scénario écrit par Eszterhas (plus tard scénariste de Showgirls, le bide total de Verhoeven) est un thriller sulfureux à la mécanique parfaitement huilée, aux personnages troublants et aux scènes marquantes, mélangeant sexe et mort.

Eros et Thanatos étant un mélange parfait pour Verhoeven (il n’en est pas à son premier film dépeignant une femme vénéneuse et mante-religieuse, en témoigne l’excellent et trop méconnu Quatrième Homme), le réalisateur embrase la matière initiale. Non content d’avoir un couple vedette à l’alchimie saisissante (reconnaissons à Michael Douglas qu’il n’a jamais eu peur du risque, s’acoquinant avec Glenn Close dans Liaison Fatale, Demi Moore dans Harcèlement ou Sharon Stone dans ce film), il entoure ces deux acteurs d’un casting d’impeccables seconds rôles (dans le genre beauté troublante, Jeanne Tripplehorn, au début de sa carrière, ne démérite pas) et mène son thriller d’une main de maître. On reconnaît d’ailleurs ici parfaitement le goût du réalisateur pour Hitchcock et plus particulièrement Sueurs Froides : l’intrigue se passe à San Francisco, Sharon Stone affiche la même blondeur de Kim Novak et la partition entêtante de Jerry Goldsmith a quelques allures rappelant Bernard Herrmann. En instituant un jeu de manipulation mais aussi de double (Nick allumant sa cigarette comme Catherine lorsqu’il est à son tour interrogé au cours de l’affaire, la relation trouble liant Catherine et Elisabeth mais aussi celle liant Nick à Catherine et à Elisabeth), Verhoeven s’amuse comme un petit fou à distiller dans son film certaines pièces du puzzle. Il filme les miroirs pour insister sur la dualité, multiplie les travellings, soigne chacun de ses cadres et s’attarde particulièrement sur les scènes de sexe au suspense insoutenable. Baigné dans l’impeccable photographie de Jan de Bont, Basic Instinct est le thriller érotique par excellence, lançant alors une certaine mode à Hollywood (Sliver avec Sharon Stone et écrit par Eszterhas mais aussi Jade réalisé par Friedkin et également écrit par Eszterhas).

Au-delà de l’aspect sulfureux du film (qui en choqua plus d’un dont votre serviteur lorsqu’il le découvrit à la télévision en même temps que sa mère), Basic Instinct est un thriller diablement ficelé qui n’a de cesse de fasciner. Impossible de se défaire de l’image provocatrice de Catherine Tramell cassant de la glace avec un pic à glace devant Nick Curran alors qu’elle est suspectée du meurtre de son amant, impossible d’oublier ce fameux interrogatoire et cette fameuse interdiction de fumer (parodiée dans La Cité de la peur) et surtout impossible de ne pas rester troublé devant cette fin volontairement ouverte. Puzzle habile et mystérieux, Basic Instinct représente non seulement la quintessence du style Eszterhas (qui fit des thrillers sulfureux son fond de commerce de manière souvent habile) mais permet aussi à Verhoeven de dévoiler l’efficacité de sa mise en scène sans en faire trop, épousant parfaitement un sujet taillé pour lui en offrant au passage l’écrin parfait à la sensualité de Sharon Stone et au talent monstre de Michael Douglas. Dans le genre, on n’a jamais vu mieux. Alors forcément, on finit par revenir régulièrement vers Catherine Tramell, tentant de percer son mystère sans jamais savoir ce qui se trame dans sa tête. Reste son corps, qui n’a désormais plus de mystères pour nous (et on ne va pas s’en plaindre).

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RÉALISATEUR : Paul Verhoven
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Sharon Stone, Michael Douglas, Jeanne Tripplehorn 
GENRE : Thriller érotique 
DURÉE : 2h10 
DISTRIBUTEUR : Studio Canal (1ère sortie), Carlotta (reprise) 
SORTIE LE 8 mai 1992, reprise le 16 juin 2021