Bardot : la vérité toute nue

A plus de 91 ans, Brigitte Bardot est déjà entrée dans la légende du cinéma français. Elle qui n’a tourné que de 1952 à 1973 a pourtant laissé une trace indélébile dans la mémoire collective, en étant l’une des premières personnalités françaises à être connues universellement. A la fois actrice, mannequin, danseuse, chanteuse, activiste, militante écologique, Brigitte Bardot a rarement fait l’unanimité mais a indubitablement marqué notre époque contemporaine, de la deuxième moitié du vingtième siècle jusqu’à aujourd’hui. En 2023, une série télévisée, déjà intitulée Bardot, écrite par Danièle et Christopher Thompson, avait déjà rendu hommage à l’icône, avec des retours contrastés. Cette fois-ci, c’est le cinéma qui célèbre le sex-symbol à travers un documentaire éponyme constitué d’images d’archives, réalisé par Elora Thevenet et Alain Berliner, sélectionné au Festival de Cannes cette année, dans la section Cannes Classics.

Jamais vraiment dans une case, muse de cinéastes finissant par sacrifier tout à la cause animale, Brigitte Bardot est une femme libre mais sans doute incomprise. Bardot revient sur les aspects si contradictoires de sa vie, de sa carrière artistique légendaire à sa célèbre fondation. Elle qui bouscula l’image des femmes et fut en avance sur la conscience écologique et le bien-être animal qui semblent, enfin, pour tous une évidence. Une réflexion croisée sur ce que signifie être une femme artiste, une femme libre et parfois en avance sur son temps.

Une femme qu’on peut aimer (ou pas) mais qui aura éprouvé et manifesté le goût de sa liberté jusqu’au bout.

Ce documentaire dispose de plusieurs avantages certains, en particulier par rapport à la série : il est constitué d’un montage hallucinant d’images d’archives, reprenant les centaines de milliers d’interviews données par la superstar française, et surtout du commentaire inédit de Brigitte Bardot elle-même, revenant sur toute sa vie. Les différentes voix de Brigitte Bardot se succèdent et alternent à divers âges de la vie, avec des tonalités plus ou moins légères ou graves. C’est la principale caractéristique sonore du film, collectant ainsi non seulement la voix mais les voix de Brigitte Bardot, confirmant une continuité de pensée ou se contredisant plus rarement à des dizaines d’années d’intervalle.

Assez bien construit, le documentaire est composé de quatre parties à peu près équivalentes : l’enfance et l’adolescence, la période cinéma, la chanson, l’activisme écologique et pro-animalier. Dans la première partie, des images témoignent que Brigitte Bardot n’était guère avantagée au début de sa vie, pour devenir l’un des plus grands sex-symbols de la planète. Arborant lunettes et appareil dentaire, BB n’était guère gâtée au départ par la nature. Heureusement la chenille est devenue papillon, ce que montre très bien le documentaire à travers des images assez peu diffusées.

En revanche, la partie cinéma revient de manière assez traditionnelle sur sa carrière. Elle insiste surtout sur sa célébrité pharamineuse à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Comme pour les Beatles, c’était l’une des premières fois que l’ensemble de l’attention du monde se focalisait sur une seule personne. Compte tenu des circonstances exceptionnelles, Brigitte Bardot s’est montrée d’une certaine vaillance pour supporter cette pression inédite. De Gaulle rappelait ainsi que la France, c’était « la Tour Eiffel, Brigitte Bardot et [lui] « . Cinématographiquement, Brigitte Bardot se résume en quatre ou cinq films : Et Dieu créa la femme, La Vérité, Le Mépris, En cas de malheur, voire les deux films de Louis Malle (Vie privée, Viva Maria). Brigitte Bardot n’était sans doute pas une grande actrice mais son charisme suffisait à la faire rayonner à travers le monde. Ce qui la distingue, c’est d’avoir symbolisé le nouveau naturel féminin, l’émancipation de la femme suite aux Trente Glorieuses, la capacité à assumer sa sexualité, son indépendance, sa liberté.

La partie chanson permet de revenir sur un aspect légèrement méconnu du personnage Bardot. Sans jamais avoir étudié la musique, elle a interprété nombre de chansons qui se sont installés dans la mémoire collective, parfois des titres de Gainsbourg (Bonnie et Clyde, Harley Davidson, la première version de Je t’aime, moi non plus), mais pas seulement (La Madrague). Elle disposait en effet d’un don naturel pour la chanson, peut-être bien plus que pour le cinéma, ce que de nombreux titres permettent de prouver dans la bande originale du film.

Enfin la dernière partie du film est consacrée à ce qui occupe l’essentiel de la vie de Brigitte Bardot depuis 1973, c’est-à-dire la Fondation Brigitte Bardot, relative à l’environnement et aux animaux. Le film montre que, à bien des égards, Brigitte Bardot a été innovatrice et précurseuse dans ce domaine, alors que de nombreuses émissions de télévision se gaussaient à tort de ses interventions (cf. Le Petit rapporteur de Jacques Martin). On peut se demander à quel point une part non négligeable de misogynie entrait dans ces cruelles moqueries. Aujourd’hui, on s’aperçoit que Brigitte Bardot avait raison, avec des années d’avance. Cette Fondation, destinée à protéger la nature et les animaux, c’est ce dont Bardot est le plus fière et sans doute ce qui restera d’elle, ce qui correspondrait à ses souhaits les plus profonds.

Là où le bât blesse, au point qu’on pouvait se demander si le film allait aborder cet aspect, ce sont les interventions opposées à la religion musulmane qui ont suscité la polémique dans les années 90-2000. D’après Brigitte Bardot, il s’agissait avant tout de protéger les animaux qui étaient visés par des coutumes religieuses « barbares », et non de racisme systémique. Ce point est laissé à l’appréciation du spectateur. Mais rajoutons que dans son commentaire, BB présente ses excuses à ceux qu’elle aurait offensés par ses prises de position, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.

Par conséquent, en abordant même les points fâcheux, ce documentaire réussit à échapper à l’hagiographie et propose le portrait d’une femme libre et indépendante, sans filtre, qui ne mâche pas ses mots. Une femme qu’on peut aimer (ou pas) mais qui aura éprouvé et manifesté le goût de sa liberté jusqu’au bout.

3.5

RÉALISATEURS : Elora Thevenet et Alain Berliner
NATIONALITÉ : français
GENRE : documentaire
AVEC : Brigitte Bardot
DURÉE : 1h30
DISTRIBUTEUR : Pathé Live
SORTIE LE 3 décembre 2025