Barbaque : elle est pas bonne, ma viande ?

Drôle de bestiau que l’humour français ! Dans un pays où tantôt on ne peut plus rien dire, tantôt il faut rire de tout, l’humour national a du mal à se résoudre à sortir de ses habitudes, de ses réflexes et de ses biais, pourtant maintes fois critiqués. Est-il donc à ce point impensable en France de faire rire autrement qu’aux dépens des autres ? Posons la question plus directement à Fabrice Éboué et Marina Foïs, les deux comédiens à l’affiche de Barbaque, une comédie aux accents de film d’horreur où deux bouchers s’essayent à la chasse à l’homme après avoir découvert le goût du sang en coupant à la hache un activiste vegane. Un pitch de base volontairement irrévérencieux comme on sait si bien l’être dans le pays de Charlie Hebdo – mais chacun en prend-il autant pour son grade ? La réponse est non : faibles avec les forts et forts avec les faibles, insultants plutôt qu’outranciers, Éboué et Foïs s’accrochent à un certain type d’humour français en même temps qu’ils échouent à le renouveler, faisant au passage le spectacle déplorable de ce que signifie rire aujourd’hui en France.

Bienvenue chez les époux Pascal ! Derrière le comptoir, Sophie se fera un aimable plaisir de vous servir en caisse les viandes que son époux Vincent coupe avec passion et dévotion. En arrivant devant le magasin, sans doute serez-vous surpris de la longue queue de clients débordant jusque dans la rue : c’est que dans cette petite boucherie de quartier se vend l’un des mets les plus délicats de la religion, dont les gérants gardent le secret – le porc d’Iran, rareté qui a su convaincre toute la clientèle. Un véritable triomphe pour le couple qui, après une sordide attaque d’extrémistes véganes sur leur humble boutique, voit leur commerce – et leur couple – battre de l’aile. Dans les milieux antispécistes, quelques mauvaises langues voient dans ce succès soudain un lien avec les nombreuses disparitions inquiétantes de militants de la cause animale… Mais n’accordez pas trop de crédit à ces rumeurs à charge ! Et si vous aussi, vous vous laissiez tenter par ce merveilleux « porc d’Iran »…?

Faibles avec les forts et forts avec les faibles, insultants plutôt qu’outranciers, Éboué et Foïs s’accrochent à un certain type d’humour français en même temps qu’ils échouent à le renouveler, faisant au passage le spectacle déplorable de ce que signifie rire aujourd’hui en France.

S’il est clair dès le début du long-métrage que le porc d’Iran ne passe pas le contrôle qualité, on peut en dire autant de l’humour de ce film. Est-il drôle ? Parfois. La question est plutôt : pour qui est-il drôle ? Car dans Barbaque, chacun trouvera à rire tantôt à gorge déployée, tantôt de rire jaune. Bien sûr, si on est – au choix – vegan, homosexuel, gros, noir ou asiatique, on risquera de rire moins que les autres, mais après tout, est-ce si grave ? Est-ce si grave de voir Nafissatou se faire poursuivre dans la rue par deux bouchers avec un hachoir parce que « noire et femme, ça fait deux nouvelles saveurs » ? Est-ce si grave de voir un bisexuel libertin se faire assommer de huit coups de pots de fleur dans le visage en se faisant insulter de « psychopathe » par un Fabrice Éboué choqué d’avoir été invité à un rapport sexuel avec un autre homme ? Est-ce si grave de se dire qu’un « transsexuel » doit avoir un goût incroyable puisque, à la manière des bœufs, ils sont castrés et leur viande n’en devient que plus tendre ? Non, après tout, ce n’est probablement pas si grave, puisque ça fera bien rire quelqu’un. Faire rire, désespérément, quelqu’un, n’importe qui : un défi réussi pour Barbaque – si tant est qu’on est prêt à confondre un grincement de dents avec un éclat de rire.

Faire rire, désespérément, quelqu’un, n’importe qui : un défi réussi pour Barbaque – si tant est qu’on est prêt à confondre un grincement de dents avec un éclat de rire.

Au fond, quel est le problème de Barbaque ? Quelque part, les auteurs du film se disent sans doute qu’en tapant équitablement sur tout le monde, chacun y trouvera son compte, à condition d’accepter de se faire taper légèrement sur les doigts – car il faut bien que partout on en prenne pour son grade. Alors oui, on rigolera aussi des riches industriels de la viande, blindés aux as, incapables de ne pas afficher leur fortune à chaque détour de phrase. On rigolera aussi des extrémistes veganes trop prompts à comparer l’exploitation animale à Auschwitz, des racistes ordinaires prêts à cracher leur haine de l’autre à chaque réplique. Un rire qui est le bienvenu, bien sûr. Mais un rire qui devient trop vite comme une excuse pour tout tourner en blague, sans recul critique, tirant dans tous les sens tant et si bien que le film cesse très vite d’en être drôle. Plus le couple Pascal poursuit sa chute en avant dans l’aventure cannibale, plus le film pense se libérer et plonger dans le comique – se vautrant à la place dans un humour sale qui n’arrive jamais à atteindre l’humour noir, trop occupé qu’il est à se complaire dans sa propre subversivité affichée. Car, au fond, est-ce si subversif que cela de fantasmer l’exécution de ces méprisables véganes dans le pays de la côte de bœuf, de la crème et de la bonne chère ? On se permettra d’en douter.

Quelque part, on ne peut s’empêcher de remarquer, avec un petit goût amer dans la bouche, à quel point les deux humoristes ont trouvé dans la métaphore bouchère un reflet assez exemplaire de leur propre pratique humoristique. À la manière d’une chipolata, Éboué et Foïs mettent dans Barbaque tout l’humour trop gras qui leur reste sur les bras, le passent à la moulinette, noient une chair écœurante à toutes les sauces pour tenter de lui donner du goût. Le résultat ? Un humour qui finira par alimenter le barbecque à la française et ses éternels débats polémiques autour du charbon de bois – avec au choix, en fonction de l’humeur du chef : le fameux « on ne peut plus rien dire » ou encore le célèbre « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde ». Et si, à la manière d’une filière animale incapable de changer et de s’adapter à de nouvelles pratiques de consommation, l’humour français s’emmurait dans ses propres traditions, s’acharnant à rire des mêmes choses et prenant comme un attentat personnel toutes les tentatives de remises en question de son inimitable drôlerie ? On laissera à Fabrice Éboué et Marina Foïs le soin de nous rendre des comptes sur cette question.

1

RÉALISATEUR : Fabrice Éboué
NATIONALITÉ : Française
AVEC : Fabrice Éboué, Marina Foïs
GENRE : Comédie
DURÉE : 1h32
DISTRIBUTEUR : Apollo Films
SORTIE LE 27 octobre 2021