Bette Davis disait « gettting old ain’t for sissies » (vieillir, ce n’est pas pour les mauviettes). La question du vieillissement, en particulier pour les femmes, ne s’est jamais autant posée à Hollywood. Du temps de Bette Davis, la frontière de la quarantaine, tout au plus de la cinquantaine, apparaissait impossible à franchir pour des actrices dont, au-delà du talent dramatique, la beauté représentait l’emblème le plus représentatif. Certaines choisissaient de disparaître (Garbo), de se reconvertir dans la chanson (Dietrich) ; les autres étaient de plus en plus écartées des castings, hormis quelques rares exceptions (Lilian Gish dans La Nuit du Chasseur, Gloria Swanson dans Boulevard du Crépuscule, Joan Crawford et justement Bette Davis dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane?). Si l’on observe la situation actuelle, de plus en plus d’actrices continuent à jouer de 40 à 60 ans : Julianne Moore, Tilda Swinton, Kate Winslet, Cate Blanchett, Julia Roberts, Winona Ryder, Jessica Chastain, Michelle Yeoh, Jamie Lee Curtis et…Nicole Kidman. Depuis The Substance et le come-back fracassant de Demi Moore revenue de limbes improbables. la question du vieillissement des actrices n’est plus taboue, si jamais elle l’avait été. Cette question s’expose désormais ouvertement au débat. Or si toutes les actrices que nous avons citées restent dans la course hollywoodienne, c’est la plupart du temps parce qu’elle ont signé un pacte faustien de non-vieillissement avec le docteur Botox. Tout comme Demi Moore, Nicole Kidman s’empare à bras-le-corps, si l’on peut dire, de la question. A 57 ans, comment rester désirable et concurrentielle dans cette foire de la chair, à la manière de celle d’A.I. intelligence artificielle, que représente d’une certaine façon le cinéma. Babygirl représente ainsi la réponse de Kidman à ce débat brûlant sur le désir et son reflet dans le miroir d’Hollywood.
Romy, PDG d’une grande entreprise, a tout pour être heureuse : un mari aimant, deux filles épanouies et une carrière réussie. Mais un jour, elle rencontre un jeune stagiaire dans la société qu’elle dirige à New York. Elle entame avec lui une liaison torride, quitte à tout risquer pour réaliser ses fantasmes les plus enfouis…
Babygirl, bien plus qu’une oeuvre provocatrice sur le sexe, devient finalement une comédie de remariage, une de plus, où l’adultère n’est que le prétexte d’un renforcement du couple.
A 57 ans, Nicole Kidman n’a en fait que 5 ans de moins que Demi Moore. Pourtant, contrairement à sa brillante aînée, l’impression persiste qu’elle, Nicole, n’a jamais réellement quitté le haut de l’affiche depuis Calme blanc (1989). Elle le doit à une suite de très bons choix, parfois risqués, et à une éblouissante gestion de carrière. Kidman doit aussi cette réussite à un physique statuesque qui lui vaut d’être vénérée par la communauté gay, célébrant en elle ce que l’on pourrait appeler le syndrome de la géante, une femme si grande, aussi impressionnante, voire plus, qu’un homme, à tel point qu’elle engendre une fascination absolue. La plupart du temps, elle se montre d’ailleurs beaucoup plus grande que ses partenaires, inversant le rapport de domination dû normalement à la taille. C’est le cas dans Eyes wide shut face à son mari de l’époque, Tom Cruise, et ce différentiel atteint un sommet dans Birth de Jonathan Glazer où elle est confrontée à un gamin de dix ans.
Dans Babygirl, sa beauté est à nouveau miraculeusement improbable, au-delà du temps, dans un intervalle se situant peu ou prou entre 40 et 60 ans, sans qu’on puisse réellement lui affecter un âge exact. Metteur en scène de théâtre réputé, son mari Jacob (Antonio Banderas, dans un contre-emploi assez savoureux), qu’elle dépasse à nouveau d’une bonne tête, ne parvient plus à la satisfaire. Elle lui avouera d’ailleurs n’avoir jamais atteint l’orgasme avec lui, confession cruelle. Dans son entreprise de robots automatisés, en tant que PDG, elle domine tout le monde de très haut, jusqu’à ce qu’elle croise la route de Samuel (Harris Dickinson, l’influenceur de Sans Filtre), jeune stagiaire de haute stature qui ne baisse pas les yeux devant elle et ose la défier du regard.
Un jeu du chat et de la souris s’instaure : elle est sa supérieure et pourtant il veut et va la briser. Un clin d’oeil ironique la voit en train de se faire injecter du Botox au coin des yeux. Il lui dira qu’elle n’en a pas besoin. Tant que ce jeu du chat et de la souris dure, environ la première moitié du film, le film de Halina Rejn présente un intérêt minimal, celui du duo/duel et de la tension sexuelle qui s’instaurent entre eux. Malheureusement à partir de la première scène de chambre d’hôtel, le film s’écroule soudain car le spectateur s’aperçoit que l’objectif de Rejn ne consiste pas à traiter les questions du consentement ou de l’abus de pouvoir, plus ou moins évoquées en filigrane, mais à l’émoustiller vaguement en reproduisant une sorte de Neuf semaines et demie ou Cinquante nuances de Grey, revu par #MeToo, Comme le summum de l’érotisme selon Halina Rejn consiste à faire laper une soucoupe de lait par Nicole Kidman, ou à lui enfoncer deux doigts vaguement phalliques dans son organe vocal, avouons que l’on se trouve loin du compte, surtout lorsque Rejn ne cesse de mettre des séquences mal montées (sic) sur fond de vulgaire musique pop, qui rappellent les pires heures des films érotiques diffusés et vus par hasard sur une chaîne de la TV française hertzienne.
On imagine bien ce qui a bien pu plaire à Isabelle Huppert, Présidente du jury de la Mostra de Venise en 2024, et l’a incitée à décerner son Prix d’interprétation féminine à Nicole Kidman. Bien réalisé et interprété, Babygirl n’aurait pas été si éloigné de La Pianiste de Michael Haneke, oeuvre que l’on peut plus ou moins apprécier, selon ses critères de représentation cinématographique, mais qui demeure assez indépassable dans le rayon des relations SM entre professeur et élève. Il faut malheureusement déplorer que Babygirl n’atteigne pas le millième de l’intensité du film de Haneke, faute à une bonne réalisatrice qui aurait su ménager un véritable suspense psychologico-sexuel ou à un sérieux manque d’alchimie sensuelle entre Dickinson et Kidman. L’intrigue retombe dans les travers de l’adultère bourgeois alors qu’elle aurait peut-être pu aborder des rivages insoupçonnés. Dans une anecdote lourdement signifiante, Jacob racontera au début du film que Hedda Gabler, la pièce d’Ibsen qu’il monte, n’est pas une pièce sur le désir mais une histoire de suicide. Or la tragédie, même si Kidman paraît vouloir incarner cet aspect, semble beaucoup trop éloignée de ce film qui ressemble davantage à un vaudeville lourdaud. Eyes wide shut, le chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick, sur le désir et la tentation, demeure aussi un modèle lointain mais inatteignable, où le Maître s’était bien gardé de montrer l’acte entre le mari et la femme, nous laissant à la merci des vertiges de notre imagination, Au cas où on aurait douté ici de la nature profondément conventionnelle du projet, le mari, impuissant au départ, finit par mener sa femme à l’orgasme, ce qui fait que Babygirl, bien plus qu’une oeuvre provocatrice sur le sexe, devient finalement une comédie de remariage, une de plus, où l’adultère n’est que le prétexte d’un renforcement du couple.
RÉALISATRICE : Halina Rejn NATIONALITÉ : américaine GENRE : érotique, thriller AVEC : Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas DURÉE : 1h48 DISTRIBUTEUR : SND SORTIE LE 15 janvier 2025