Au revoir là-haut : fabuleuse mascarade

On a souvent tort de ne pas trop prendre au sérieux les comiques. Pour faire rire, il faut détenir un tempérament hors normes qui chavire les repères, bouleverse les certitudes et reconfigure les données. Un tempérament capable d’accoucher de grands films dramatiques. C’est le cas d’Albert Dupontel. On avait pourtant aimé ses précédents films, de Bernie à Neuf mois ferme, débordant d’une imagination délirante et fantasque, mais rien ou presque ne pouvait laisser prévoir un tel saut qualitatif qui l’amène aujourd’hui à la réussite incontestable d’Au revoir là-haut. Un saut qualitatif qui pourrait se comparer, toutes proportions gardées à celui d’un David Lean abordant le cinéma hollywoodien ou pour prendre une référence plus proche de Dupontel,  à celui d’un Terry Gilliam, échappé des Monty Python, écrivant et réalisant Brazil.   

Ce qu’exprime Au revoir là-haut, c’est que la vie est une intolérable mascarade. A travers ses masques, tous plus beaux et plus singuliers les uns que les autres, servant à cacher son visage défiguré, Edouard parvient à exprimer sa vraie personnalité et à se libérer. Un peu comme Dupontel parvient enfin à se libérer totalement sous la couverture du roman de Pierre Lemaître.

Pour atteindre cet objectif, Dupontel devait pouvoir miser sur un matériau littéraire de premier niveau. En l’occurrence, Au revoir là-haut, Prix Goncourt 2013, lui permettait avec l’assentiment de son auteur Pierre Lemaître, collaborateur au scénario, de trouver un sujet à la hauteur de ses ambitions et de sa maturité nouvelles. Sans se renier, il a pu y puiser comme dans une malle aux trésors un sens inédit du baroque et de la poésie ainsi qu’y cultiver ses propres obsessions : la revanche des marginaux, la critique d’une société bourgeoise viciée par l’argent et la corruption (Buñuel n’est pas loin) et l’humour noir, très sombre parfois, et pourtant salvateur. La satire grinçante existait déjà dans le cinéma de Dupontel mais Au revoir là-haut yapporte une plus-value de tendresse et de sensibilité non négligeables.   

Cette sensibilité se montre au grand jour dans la relation d’amitié et d’interdépendance existant entre les deux Poilus de la Première Guerre Mondiale, Edouard l’artiste aristo défiguré et Albert le comptable déclassé et obligé d’exercer tous les métiers. Le premier a sauvé l’autre, au prix de la perte de la moitié de son visage. Condamnés à survivre dans une société qui ne veut pas d’eux, ils vont monter une incroyable arnaque de monuments aux morts, tandis que leur mauvais génie, le capitaine Pradelle, prospère en vendant des faux cercueils. Il serait un peu trop facile et inapproprié de rapprocher Au revoir là-haut de deux autres films français se passant à la même période de l’après-Première Guerre Mondiale, sous prétexte qu’ils traitent peu ou prou du même sujet, alors que le traitement est radicalement différent. La Chambre des officiers du regretté François Dupeyron est ainsi une longue complainte naturaliste sur le sort des « gueules cassées », contrairement à Au revoir là-haut qui affiche une vitalité excentrique et rafraîchissante. De même, Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet part plutôt dans la direction du mélodrame languissant, complètement à l’opposé du côté farce bouffonne du film de Dupontel. 

Certes, comme dans ces films, la reconstitution historique, les décors, la direction artistique, la photographie réinventant cette période, se montrent dignes de louanges mais là où Au revoir là-haut fait la différence, c’est incontestablement dans la mise en scène. Alors que dans ces films, la reconstitution pèse tout son poids d’académisme, Au revoir là-haut se signale par une caméra virevoltante, héritée des films de Max Ophuls, et une inventivité incroyable (au moins deux ou trois idées par plan), tout droit sortie des films de Terry Gilliam ou d’Edgar Wright. Le sens du burlesque évoque l’humanité tragique d’un Chaplin tandis que le personnage d’Edouard Péricaud, le plus émouvant de toute la filmographie de Dupontel, rappelle par le romanesque et le mystère qui l’entourent, le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, et même un certain Brian De Palma, via sa déclinaison Phantom of the Paradise

Car ce qu’exprime Au revoir là-haut, c’est que la vie est une intolérable mascarade. A travers ses masques, tous plus beaux et plus singuliers les uns que les autres, servant à cacher son visage défiguré, Edouard parvient à exprimer sa vraie personnalité et à se libérer. Un peu comme Dupontel parvient enfin à se libérer totalement sous la couverture du roman de Pierre Lemaître. En contrepartie, l’acteur Dupontel s’efface relativement en narrateur pour laisser la place à Nahuel Perez Biscayart qui, dans la peau d’Edouard, compose un personnage fascinant de densité romanesque. « Tout esprit profond avance masqué » écrivait Nietzsche. Albert Dupontel a bien retenu la leçon et l’a merveilleusement appliquée en réalisant ce qui est à ce jour son meilleur film et en réfléchissant sans en avoir l’air sur la nature de l’art. Tout véritable artiste avance masqué. 

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RÉALISATEUR :  Albert Dupontel 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Nahuel Perez Biscayart, Albert Dupontel, Héloïse Balster, Laurent Lafitte, Niels Arestrup, Mélanie Thierry, Émilie Dequenne 
GENRE : Comédie dramatique 
DURÉE : 1h57 
DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution 
SORTIE LE 25 octobre 2017