Arthur Rambo : réseaux sociaux, je vous hais

Laurent Cantet occupe une place particulière dans le cinéma français contemporain, ni vraiment considéré comme un auteur (alors qu’il a pourtant écrit ou coécrit tous ses films), ni non plus comme un faiseur. Il ne jouit pas par exemple du prestige accordé à certains comme Kéchiche, Desplechin, Audiard, Dumont ou Assayas. En revanche, il n’est pas destinataire du mépris accordé à d’autres que nous ne nommerons pas, simples exécutants dans le projet d’un film souvent considéré comme le rêve de producteurs influents. Lauréat d’une des rares Palmes d’or françaises de ces vingt dernières années, Entre les murs (avec celles de Kechiche, La Vie d’Adèle, et d’Audiard, Dheepan), Laurent Cantet poursuit à travers ses films une interrogation assez prégnante sur notre société : après les conflits sociaux (Ressources humaines), l’éducation et l’école (Entre les murs), l’extrême-droite et la jeunesse ‘(L’Atelier), cette fois-ci, c’est au tour des réseaux sociaux, via Arthur Rambo, d’être soumis au regard exigeant et attentif de Laurent Cantet.

Karim D., jeune écrivain engagé, est célébré comme la révélation littéraire du moment, dans le Paris de la bonne conscience morale et politiquement correcte. Paradant dans les soirées, il vit sur un nuage, jusqu’au jour où un scandale éclate, la divulgation de tweets haineux, racistes, misogynes et homophobes, signés par un certain Arthur Rambo…

Arthur Rambo interroge une figure célébrée puis crucifiée par les réseaux sociaux, sans nous permettre d’évaluer si elle méritait davantage cet excès d’honneur ou cette indignité.

Laurent Cantet, de son propre aveu, s’est librement inspiré pour Arthur Rambo de l’affaire Mehdi Meklat qui a explosé en 2017, révélant qu’un jeune écrivain prometteur était également l’auteur de tweets agressifs et revanchards, s’en prenant avec colère à toute la société, surtout à travers ses représentants a priori les plus faibles et stigmatisées (immigrés, femmes, homosexuels). Il n’a pas cherché à créer un biopic sur son personnage, à reconstituer son passé, mais à essayer de comprendre ses motivations qui restent mystérieuses. Son approche est en fait assez proche de celle qu’il pouvait avoir dans L’Emploi du temps, inspiré par l’affaire Jean-Claude Romand, partir d’un fait divers pour tenter d’appréhender les failles et les mystères de l’être humain.

Autant le dire tout de suite, Arthur Rambo n’est malheureusement pas aussi réussi que L’Emploi du temps. D’un point de vue stylistique, Laurent Cantet procède par incrustations régulières à-même l’écran des tweets infamants pour nous informer des méfaits d’Arthur Rambo. Le procédé peut franchement lasser au bout du troisième tweet. De plus, cette descente aux enfers qui nous montre Karim D. rejeté successivement par ses éditeurs, ses amis parisiens, sa petite amie, ses copains d’enfance banlieusarde et enfin sa famille, paraît un peu trop systématique et répétitive pour engendrer une quelconque émotion.

Laurent Cantet appartient en fait à ces dernières générations de l’IDHEC, l’école qui a précédé la FEMIS, auxquelles appartiennent aussi Robin Campillo, Dominik Moll, Gilles Marchand, des cinéastes assez divers, méritants et valeureux, qui ne se distinguent pas par un véritable souci formel. Cantet le sait sans doute, ce qui fait qu’il a peut-être essayé d’y remédier ici par ces incrustations de tweets, péchant par exagération et systématisme de dispositif. Les meilleurs films de Cantet sont plutôt ceux, où nonobstant toute préoccupation de style cinématographique, il aime ou est fasciné par ses personnages (Foxfire, d’après Joyce Carol Oates, L’Emploi du temps, Ressources humaines). Le problème général d’Arthur Rambo, c’est qu’on ne comprend absolument pas où Cantet veut en venir. Il aurait pu engendrer un suspense (certes artificiel) sur l’identité de l’auteur des tweets, en faisant nier Karim D. ; cela aurait été un tout autre film. Il aurait pu essayer de faire naître une fascination autour de l’écrivain, ce qui n’arrive pas à éclore. D’une certaine manière, il s’arrête à une limite qu’il ne peut pas franchir, tenter de comprendre pourquoi un écrivain sensible a pu écrire des insanités aussi révoltantes. Les justifications fournies par Karim D., la provocation punk, l’humour salvateur, la révolte contre la société, apparaissent peu opérantes et concluantes. Le mystère reste entier mais le film ne nous donne malheureusement pas envie de le percer, tant les rapports de Karim D. avec ses amis ou sa famille ne s’écartent guère de la platitude. Par conséquent, Arthur Rambo interroge une figure célébrée puis crucifiée par les réseaux sociaux, sans nous permettre d’évaluer si elle méritait davantage cet excès d’honneur ou cette indignité.

2.5

RÉALISATEUR :  Laurent Cantet
NATIONALITÉ : française 
AVEC :  Rabah Naït Oufella, Antoine Reinartz, Sofian Khammes
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h27 
DISTRIBUTEUR : Memento Distribution
SORTIE LE 2 février 2022