Apples : mangez des pommes!

La pandémie actuelle possède parfois comme effet secondaire méconnu de faire perdre la mémoire immédiate aux personnes atteintes du virus. Le Grec Christos Nikou s’en est sans doute inspiré pour faire dans son premier film Apples la description d’une société dont une partie de ses membres tombe dans une amnésie permanente. Certains, par esprit de chapelle mal placé, auront vite fait de ranger ce premier essai dans le rayon des disciples de Lanthimos, d’autant plus que Nikou a en effet été assistant à la mise en scène sur Canines. C’est l’erreur que n’a pas commise Cate Blanchett qui, découvrant Apples à la Mostra de Venise 2020, s’est déclarée volontaire pour devenir sa productrice exécutive, Un réel talent s’y montre, faisant la part belle à l’humour de l’absurde et au travail subtil sur la forme cinématographique. Un talent à suivre, vu que Cate Blanchett a décidé également de produire son prochain film, mettant en vedette l’excellente Carey Mulligan.

A Athènes, de nos jours. Un homme solitaire se retrouve sans papiers ni clés et est conduit à l’hôpital. Il est atteint d’amnésie permanente comme une partie de la population du pays. Aucune personne de sa famille ne vient le chercher. Une femme médecin lui propose de suivre le programme Nouvelle Identité qui permet aux personnes atteintes d’amnésie de reconstruire leur personnalité et de se réinsérer socialement. Tout se passe plutôt bien jusqu’au jour où il rencontre une jeune femme souffrant du même mal et soumise au même programme…

Un jeu virtuose de mise en scène qui interroge l’invention d’une solitude. Une révélation qui révèle l’inconscient d’un personnage, tout autant que soi-même dans le miroir de l’art.

A priori cette première oeuvre s’inscrit dans le sillon de celle de Yorgos Lanthimos, en lui empruntant sa structure dramatique ludique et son sens de l’humour sardonique. Une thématique s’y retrouve, en particulier inspirée par celle de Alps, film assez méconnu dans la filmographie de Lanthimos : l’idée de s’introduire par imposture dans l’entourage familial des malades d’un hôpital. Il serait alors facile de rejeter par principe le premier essai de Nikou, comme certains critiques ne se sont pas gênés pour le faire, par paresse intellectuelle, ne supportant pas le cinéma de son aîné grec. Or une immense différence distingue Nikou de Lanthimos : un sens empathique, une sensibilité qui font la plupart du temps défaut à l’auteur de Mise à mort du cerf sacré ou de La Favorite.

Il faudra attendre une demi-heure pour que l’impression de surface d’un humour dévastateur s’estompe progressivement et laisse la place à une histoire d’amour qui ne dit pas son nom. Car le motif dramatique de l’amnésie ne constitue en fait qu’un prétexte pour déboucher sur une rencontre et surtout un travail de deuil, dont on s’aperçoit à la fin qu’il est la principale colonne vertébrale du film. Une douleur si présente et envahissante, qu’on ne la voit pas au départ, comme La Lettre volée d’Edgar Poe, tellement évidente qu’il est impossible de la remarquer.

Ce travail de deuil rapproche le film de Nikou d’un tout autre film que ceux de Lanthimos, Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais. Comme le maître français, Nikou fonctionne par fragments signifiants et parfois polysémiques, pièces d’un puzzle dont seul le metteur en scène connaît le secret, un secret qu’il ne nous révèle que peu à peu, Est-ce du présent? Du passé? On ne sait plus, les frontières temporelles s’estompent, les indices s’accumulent, les détails font progressivement sens. Un jeu virtuose de mise en scène qui interroge l’invention d’une solitude. Une révélation qui révèle l’inconscient d’un personnage, tout autant que soi-même dans le miroir de l’art.

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RÉALISATEUR :  Christos Nikou 
NATIONALITÉ : grecque
AVEC : Avec Aris Servetalis, Sofia Georgovassili, Anna Kalaitzidou
GENRE : Drame
DURÉE : 1h30
DISTRIBUTEUR : Bodega Films 
SORTIE LE 13 avril 2022