Anatomie d’une chute : scènes de la vie conjugale

Depuis quelques années, Justine Triet est sans doute la cinéaste ayant accompli les progrès les plus ahurissants, en particulier au Festival de Cannes. Ayant débuté à l’ACID (La Bataille de Solférino) puis faisant l’ouverture de la Semaine de la Critique (Victoria) et ensuite en Sélection officielle (Sibyl), elle est passée successivement de la comédie au drame psychologique pour arriver en pleine possession de ses moyens cette année avec Anatomie d’une chute, un thriller mâtiné de film judiciaire, récompensé de la prestigieuse Palme d’or cette année. En seulement dix ans, quatre films, une trajectoire donc assez foudroyante, avec deux constantes thématiques essentielles, le couple dans tous ses états (divorce, vrai-faux célibat, mariage qui bat de l’aile) et le rapport réalité-fiction, surtout depuis Victoria. Anatomie d’une chute permet à Justine Triet de retrouver Sandra Hüller qui interprétait déjà un rôle d’alter ego réalisatrice dans Sibyl, et d’atteindre une maturité nouvelle en tant que réalisatrice, son film étant salué comme l’un des meilleurs de Cannes 2023.

Un couple vit à la montagne avec leur fils. Un jour le père meurt devant la maison. Suicide ou pas ? Sa femme passe en procès, et le fils de 11 ans, malvoyant, y assiste…

Par une précision exemplaire et digne d’éloges de son scénario, de sa réalisation et de son montage, Anatomie d’une chute se signale d’emblée comme le meilleur film de Justine Triet.

Par son titre, Anatomie d’une chute ne cache pas sa filiation éventuelle avec Anatomy of murder (traduit pour son titre français en Autopsie d’un crime) d’Otto Preminger. Il y est également question d’une mort non élucidée et d’un film essentiellement de procès, jetant le doute à intervalles réguliers sur la véritable nature de l’accusée, innocente ou coupable? Par une précision exemplaire et digne d’éloges de son scénario, de sa réalisation et de son montage, Anatomie d’une chute se signale d’emblée comme le meilleur film de Justine Triet. Une oeuvre qui tient en haleine jusqu’à la fin, par la grâce d’un suspense psychologique digne des meilleurs thrillers policiers. Sandra Hüller, présente aussi dans The Zone of Interest, à la fois faussement transparente et ouverte et réellement opaque, mène les spectateurs par le bout du nez, en soufflant alternativement le chaud et le froid, et aurait mérité incontestablement un prix d’interprétation (si le règlement cannois n’avait pas interdit le cumul de la Palme et d’un autre prix), sa performance culminant dans une scène de ménage parlée en anglais, une langue qui n’est pas la langue maternelle des deux conjoints. Une scène d’une violence verbale assez rare qui fait passer le grand frisson et évoque un certain Ingmar Bergman, expert dans les scènes de la vie conjugale, ce qui n’est pas peu dire.

On remarquera que l’oeuvre de Justine Triet qui se situait de prime abord sur le terrain de la comédie (ses deux premiers films) a pris une teinte dramatique dans ses deux derniers, depuis sa collaboration scénaristique avec Arthur Harari, son compagnon et metteur en scène d’Onoda. La réussite de ce tandem d’auteurs-réalisateurs est pour beaucoup dans l’équilibre manifesté dans Anatomie d’une chute qui permet d’entendre les voix à égalité de la femme et de l’homme dans le couple, et de partager assez équitablement les torts entre chacun. Mine de rien, Triet fait un peu l’état des lieux des rapports de couple post-MeToo, à travers celui d’une femme célèbre et de son compagnon velléitaire. On pourra ajouter que Justine Triet, dans sa mise en scène, est adepte des personnages et des acteurs, sculptant la matière humaine, lui donnant la prééminence à travers ses mouvements de caméra, plutôt que l’inverse. Mais Renoir ou Cassavetes, pour citer des exemples glorieux, fonctionnaient également de la même façon.

Dans une durée dégraissée qui ne laisse pas vraiment de répit ou de faiblesses, Anatomie d’une chute s’annonce sans forcer comme l’un des meilleurs films (français) de l’année. Il est même possible, voire souhaitable, que cette mutation d’autrice emmène Justine Triet encore plus loin, encore plus haut.

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RÉALISATEUR :   Justine Triet 
NATIONALITÉ : française 
GENRE : drame, policier, thriller judiciaire  
AVEC : Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner, Antoine Reinartz, Samuel Theis. 
DURÉE : 2h30 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE 23 août 2023