Ama Gloria : jamais sans ma nounou

Présenté en ouverture de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2023, Ama Gloria est le premier long métrage en solo de Marie Amachoukeli, qui avait co-réalisé Party Girl avec Claire Burger et Samuel Theis en 2014. Un film magnifique, à la lisière du documentaire et surtout filmé à hauteur d’enfant.

Cléo, 6 ans, aime énormément Gloria, sa nounou qui l’élève depuis sa naissance. Mais cette dernière doit retourner d’urgence au Cap-Vert, auprès de ses propres enfants. Avant son départ, Cléo lui demande de tenir une promesse : la revoir au plus vite. Gloria l’invite à venir dans sa famille et sur son île, passer un dernier été ensemble.

Sur le papier, cette histoire pouvait faire craindre le pire, à savoir le recours à l’émotion facile, au sentimentalisme excessif. Or, il n’en est rien. Ama Gloria est un film sobre, mais terriblement émouvant et mélancolique, porté par les deux comédiennes principales, magnifiques. Il est souvent difficile de tourner avec des enfants, ici, c’est le contraire : la petite Louis Mauroy-Panzani est d’un naturel confondant, semble s’être tellement investie dans ce rôle qu’elle donne l’impression qu’il s’agit de son histoire personnelle, renforçant l’aspect documentaire du film.

Marie Amachoukeli utilise ainsi le gros plan pour épouser le point de vue de Cléo et une focale particulière, créant une image précise et définie tout en offrant une certaine douceur

Ama Gloria débute par une scène importante et hautement symbolique : une visite chez l’ophtalmologue. Cléo, accompagnée de sa nounou, a du mal à lire de loin, elle porte des lunettes. La thématique du regard est ainsi clairement posée : elle reviendra à plusieurs reprises tout au long du récit. Marie Amachoukeli utilise ainsi le gros plan (sur les visages, mais aussi sur des gestes et détails) pour épouser le point de vue de Cléo et une focale particulière, créant une image précise et définie tout en offrant une certaine douceur. Toute cette histoire, les événements qui s’y déroulent sont perçus par Cléo qui observe attentivement ce qu’il se passe autour d’elle, tout près d’elle. Cette relation qui unit la petite fille et sa nourrice est quasiment fusionnelle : ces deux êtres s’aiment très fort. Gloria est devenue une mère de substitution pour Cléo qui a perdu la sienne depuis déjà longtemps. Lorsqu’elle lui annonce qu’elle doit rentrer chez elle au Cap-Vert pour s’occuper de sa famille, c’est un véritable sentiment d’abandon qui est ressenti par l’enfant, ce qui poussera d’ailleurs le père à l’envoyer passer l’été sur cette île. Pour restaurer, en quelque sorte, un lien brisé, mais aussi pour comprendre que ce moment sera probablement le dernier, en cela Ama Gloria est aussi le récit d’un apprentissage douloureux. La séquence finale, bouleversante, illustre parfaitement cela : au moment du départ et retour vers l’Europe, les deux personnages principaux ne peuvent retenir leurs larmes, tant la séparation est difficile (aussi bien pour Cléo que pour Gloria, dont la détresse est immense). La cinéaste s’est inspirée de son propre vécu : au même âge que Cléo, elle avait été désespérée par le départ au Portugal de la concierge de l’immeuble dans lequel elle habitait.

La vie au Cap-Vert est également une épreuve pour la petite fille : heureuse de retrouver celle qui compte énormément à ses yeux, elle découvre cependant une famille dont elle ignorait l’existence, à savoir deux enfants que Gloria avait laissés pour aller gagner sa vie. Les tensions sont nombreuses, tout comme les incompréhensions. Cléo veut sa nounou pour elle toute seule, manifestant un égoïsme assez touchant (allant de pair avec le rejet du bébé de la fille de Gloria, qui accapare beaucoup sa grand-mère) ; les enfants de Gloria ne connaissent pas bien leur mère et se méfie de l’arrivée de ce nouvel élément. Et Gloria semble, elle, un peu perdue. Cependant, les moments de bonheur et de complicité existent aussi, ils sont très beaux.

Enfin, il faut souligner un autre choix de la cinéaste, original : raconter les moments de transition dans le récit par le biais de petites séquences d’animation impressionnistes et réussies (au total, environ 12 minutes du film)

Enfin, il faut souligner un autre choix de la cinéaste, original : raconter les moments de transition dans le récit par le biais de petites séquences d’animation impressionnistes et réussies (au total, environ 12 minutes du film). Elles sont d’autant plus intéressantes qu’elles permettent à Marie Amachoukeli de traiter certains aspects relevant de la perception pure, du ressenti. Ce parti pris fonctionne parfaitement à l’écran.

Ama Gloria apparaît donc comme un film très délicat, tout en retenue, juste et digne (car il s’intéresse aussi aux habitants du Cap-Vert, respecte leur langue et leur culture), qui prouve le talent de Marie Amachoukeli pour nous conter les moments intimes les plus importants qui marquent à jamais.

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RÉALISATEUR : Marie Amachoukeli   
NATIONALITÉ : Belgique, France
GENRE : Drame
AVEC : Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno, Abnara Gomes Varela, Arnaud Rebotini
DURÉE : 1h24
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution
SORTIE LE 30 août 2023