Les Chroniques de Sylvain : All We Imagine as Light : la beauté, et quoi d’autre?

Payal Kapadia présente All We Imagine as Light en compétition au Festival de Cannes 2024, trois ans après avoir remporté l’Œil d’Or avec A Night of Knowing Nothing. C’est la première fois depuis trente ans que l’Inde revient en compétition (cf. Destinée de Shaji Neelakantan Karun). La réalisatrice indienne découvre donc la joie de concourir pour la Palme d’Or, mais son voyage féministe au cœur de l’Inde est clairement insuffisant pour espérer obtenir la plus haute récompense. Le retour du cinéma indien sur le tapis rouge laisse à désirer.

Infirmière à Mumbai, Prabha voit son quotidien bouleversé lorsqu’elle reçoit un cadeau de la part de son mari qu’elle n’a pas vu depuis des années. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, cherche en vain un endroit dans la ville pour partager un peu d’intimité avec son fiancé. A l’occasion d’un séjour dans une station balnéaire, pourront-elles enfin laisser leurs désirs s’exprimer ?

Payal Kapadia pose un regard féminin sur la société indienne et entreprend une réflexion féministe qui ne convainc guère.

Il n’y a pas de message clair dans All We Imagine as Light, si ce n’est la parole féministe présente dans quelques passages et qui ne se résume qu’à de simples tentatives de relations sentimentales avec deux femmes qui cherchent désespérément la bonne rencontre. Prabha, une infirmière, tente d’oublier le souvenir de son mari parti en Allemagne et s’investit corps et âme dans son travail. Anu, sa colocataire, écume les endroits de Mumbai où elle pourrait assouvir ses fantasmes sexuels avec son compagnon. All We Imagine as Light se contente juste de lancer un pseudo-féminisme en montrant une sorte de pérégrination laborieuse faite de turpitudes, de tourments amoureux et de montrer l’image de la femme libre. En cela, la morale est bien sûr louable, mais Payal Kapadia la diffuse dans une atmosphère se situant entre soporifique et linéaire, même si une musique accompagne cette recherche de l’amour. Les belles notes, qui produisent un effet un peu naphtaline, enveloppent un récit de facture classique doté d’un rythme lénifiant et plat. La mise en scène ne déborde pas du cadre scolaire, filme les scènes avec un soin particulier, mais elle ne produit aucunement la moindre étincelle d’émotions. La définition des personnages est ignorée, alors qu’ils sont le moteur d’un scénario axé sur la liberté de la femme. Les parcours de Prabha et d’Anu en deviennent même anecdotiques. All We Imagine as Light fait souvent preuve d’un féminisme banal ou lambda, qui se noie sous un déluge de vacuité, avec un développement creux.

La beauté esthétique d’un film ne fait pas tout et ne peut combler les lacunes scénaristiques.

Le scénario de ce film est sans doute trop lacunaire pour convaincre, entre des femmes au passé relativement flou et négligé, dont on ne sait que peu de choses finalement. Payal Kapadia n’arrive pas à insuffler toute la générosité et l’humanité qu’il fallait pour donner une autre dimension à son œuvre, ni même à faire de ses protagonistes des exemples de militantes fortes. Au lieu de cela, les deux histoires se terminent de manière ennuyeuse, avec ce sentiment que la cinéaste ne rentre jamais dans le sujet, l’effleure, et un message qui peine à être lisible. Si elle voulait raconter des destinées féminines sur fond de liberté de choix et de vie, en revanche, il existe dans All We Imagine as Light un vide émotionnel, scénaristique béant, vainement sauvé par une beauté de tous les instants, des cadrages soignés et une interprétation plutôt correcte. Mumbai est filmé d’une superbe façon. Toutefois, la pensée prime toujours sur la beauté, et l’œuvre ne respecte pas cet ordre, car le cinéma ne relève pas seulement de l’esthétique, mais d’une réflexion argumentée et maîtrisée.

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RÉALISATEUR : Payal Kapadia
NATIONALITÉ :  Inde
GENRE : Drame
AVEC : Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadam
DURÉE : 1h54 
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution
SORTIE LE 2 octobre 2024