Ailleurs, partout : ici et maintenant

Traiter de la situation des migrants, peu de cinéastes s’y sont en fait risqués. On pourrait citer Jacques Audiard dans Dheepan, Philippe Lioret pour Welcome, Michael Haneke dans Happy End ou Aki Kaurismaki pour Le Havre. Peu de cinéastes s’y sont attaqués, comme si la fiction se révélait en fait impuissante à saisir l’un des états les plus tragiques de notre société. C’est peut-être pour cela qu’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmulter ont utilisé le documentaire pour nous faire mieux prendre conscience de l’état psychologique et physique, particulièrement instable d’un migrant. Néanmoins, bien plus qu’un documentaire, Ailleurs, partout se révèle être un essai réflexif sur l’état de migrant, conçu à partir d’images de télésurveillance, qui nous installe par son dispositif dans l’état de déréliction et de dépression, propre aux migrants.

Shahin Parsa, jeune Iranien, a fui son pays pour des raisons politiques. Il a traversé la Turquie puis est arrivé en Grèce. Un an et demi plus tard, il s’est installé en Angleterre où il a acquis le statut de réfugié. Il n’a pas le droit de travailler et vit confiné, placé sous contrôle, en résidence surveillée.

Ailleurs, partout possède un véritable objectif, celui de nous déstabiliser et de nous faire accepter de rejoindre par la pensée une condition de migrant, déboussolé par l’hostilité du monde et le flou terrifiant des lieux.

A travers le cas de Shahin Parsa, Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter, coréalisatrices de Ailleurs, partout, ont souhaité aborder le sujet douloureux des migrants, en évitant les conventions. Au lieu d’un documentaire bien ficelé, constitué basiquement d’interviews et de témoignages, elles ont souhaité « placer le spectateur hors de ses processus habituels de reconnaissance ».

Ailleurs partout ressemble donc à un puzzle dont les pièces ne correspondent pas forcément mais dressent un portrait d’ensemble d’un migrant ordinaire, Shahin Parsa, que les coréalisatrices ont rencontré à différentes étapes de son parcours de traversée de l’Europe. Le documentaire est ainsi déconstruit en mille fragments formant une sorte d’essai poétique qui finit par relever de la pure abstraction. Ailleurs, partout est donc composé de façon hétérogène par des images « volées » à des caméras de vidéosurveillance, où l’on ne verra jamais le « héros », ainsi que par un mélange d’interviews sonores de Shahin et de commentaire lu par Vivianne Perelmuter et de sms échangés entre l’étudiant iranien et sa famille. Ces échanges qui frappent par leur caractère inaltérablement ordinaire prennent une dimension tragique en raison de la pesanteur du contexte.

Le dispositif mis en œuvre par Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter peut s’avérer par conséquent complexe de prime abord, répondant à des postulats intellectuels. Néanmoins le sensible finit par affleurer au-delà des échanges peu loquaces, à la limite de la désincarnation et des images qui prennent le chemin de l’expérimentation. Certes il faut prévenir le spectateur que l’on est en présence d’une oeuvre assez radicale mais finalement plutôt accueillante, une fois intégrées les règles non apparentes du jeu. Ce n’est pas pour rien que la philosophie fait partie du cursus d’une des coréalisatrices : Ailleurs, partout possède un véritable objectif, celui de nous déstabiliser et de nous faire accepter de rejoindre par la pensée une condition de migrant, déboussolé par l’hostilité du monde et le flou terrifiant des lieux.

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RÉALISATEUR :  Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter
NATIONALITÉ : française
AVEC : Shahin Parsa, Vivianne Perelmuter 
GENRE : documentaire 
DURÉE : 1h03 
DISTRIBUTEUR : DHR distribution/A Vif Cinémas 
SORTIE LE 1er décembre 2021