After blue (Paradis sale) est une sacrée aventure ou une aventure sacrée comme on en a l’habitude d’en vivre avec Bertrand Mandico. Une fois le mal fait et les pénis tombés, sur la planète Terre, il fallait bien migrer ailleurs, changer de genre et de focale pour en évoquer quelque chose de nouveau : « rien à refaire. tout est à faire ». Sauf qu’il ne s’agit plus exactement de questionner les genres, masculin ou féminin, mais plutôt le lien entre les vivants et les morts. Fait de quatre mots, dont la position semble changeable sans que le sens n’en soit affecté (after sale, paradis blue, after paradis, blue sale ?!)…, le titre ne manque pas de connotations qui ont pu être gênantes, par endroits… Comme le récit d’ailleurs, qui ne nous engage plus, dans une chasse au trésor intérieur, auprès de cinq adolescents, mais fait partager au spectateur une double traversée, géographique – au passage autant à l’horizontale qu’à la verticale étant donné le changement de planète –autant que psychique, auprès d’une adolescente, Roxy (l’incroyable Paula Luna), prise entre ses (non) crimes d’émancipation et ses désirs débordants, jusqu’à être soumise à une punition-vengeance non choisie. Ce sera sa mère, Zora (interprétée par Elina Löwensohn) – d’après nous la figure principale, ce inversement à ce que le précédent long métrage accordait aux rôles de parents, plutôt absents, invisibles et passifs bien que symboliquement remplacés par une triple autorité, avec le docteur, le capitaine et le crâne symbolique –, qui prendra en charge leur survie au sein d’une communauté de femmes dont les lois ne supportent aucun écart : tout bouge mais rien ne se transformerait ?
Dans ce western qui flirte avec la science-fiction, ce conte qui caresse la fable, l’hybridité et le transgenre, le pop, la préciosité et la transidentité deviennent loi, sur une planète dont les habitantes n’échappent pourtant pas au principe de domination-soumission entre elles
Sur cette nouvelle planète où les femmes, qui voient pousser des poils dans leurs cous, s’aiment et jouissent entre elles, dont la nature voit pousser des végétaux aussi insolites que la minéralité qu’elle dégage, les hommes n’ont pas survécu, question d’hormones, et seul un androïde agenré, Olgar2 (Michaël Erpelding) tente de subsister tout en donnant un plaisir intellectuel autant que charnel à celle qui l’a choisi, Veronika Sternberg (la magnifique Vimala Pons avec ses longs cheveux et dans ce nouveau « périmètre ») : tentacules remplacent testicules. Veronika est une sorcière, plus aristo avec ses armes-marques et son chapeau, ses acolytes (ou chiennes de garde), Climax et Kieffer interprétées respectivement par Pauline Lorillard et Anaïs Thomas, que Kate(rina) Bush(owsky) (l’incroyable Agata Buzek), moins aimable, plus antique, mais non moins bouleversante avec son 3e œil dans le sexe, après avoir été déterrée par la naïve et sauvage enfant, dite pourtant Toxic par ses amies décédées consécutivement à son acte : Dead Can Dance ! C’est ce que l’on verra tout au long du voyage aller-retour d’une mère et de sa fille, à la recherche de la sorcière-guérillère mal-aimée, pour offrir sa tête et sa peau tels un trophée à la communauté endeuillée. Ici les vivantes affrontent les mortes ressuscitées à travers leurs transes souvent fantasmatico-érotiques venues rappeler leur existence, leur nécessité et leur pouvoir dans cet entre-deux mondes…, et rappelant le goût du Bertrand pour les images et les ambiances psychédéliques…et non moins symboliques dans lesquelles nous font pénétrer Luz, Chiara et Ivresse (Claïna Clavaron/Mara Taquin/Claire Duburcq).
Dans ce western qui flirte avec la science-fiction, ce conte qui caresse la fable, l’hybridité et le transgenre, le pop, la préciosité et la transidentité deviennent loi, sur une planète dont les habitantes n’échappent pourtant pas au principe de domination-soumission entre elles : les plans qui leur consacrés, regroupées en micro-communautés, post deuil des adolescentes ou après leur propre mort, sont à la fois justes et inquiétants surtout quand le doute s’instille : fantômes ou sorcières ? Après tout peu importe, car les images de ce nouveau territoire, sensibilité absolue du cinéaste, offrent à voir une nature étrange avec ses arbustes, ses champignons ou ses chenilles, par leur forme, leur couleur ou le mouvement qu’il leur attribue. Bertrand Mandico, l’artisan de la pellicule (c’est encore tourné en 35 mm), le roi de la rétroprojection (favorable au jeu des actrices contrairement au fond vert), le tisseur de liens (lui qui n’hésite pas à partager ses nombreuses inspirations), s’essaie, s’amuse, faire sans refaire, même si le film possède des échos avec le précédent long, comme il annonce sans doute le suivant. Car c’est peut-être ici une œuvre d’envergure et de résonance qu’il faut appréhender, à travers les 2h07 d’une histoire dans laquelle l’écologie, la domination de classe, la consommation, le luxe sont abordés avec distance d’un côté, sensualité d’un autre, le tout au service d’une actrice et d’une femme, une Mère Courage sans défense qui fait de son mieux pour se battre tout en ne cachant pas ses faiblesses, voire sa lâcheté : performance ! Dans ce film de croisements (d’où l’hybridité), les personnages féminins sont bien incarnés par des actrices – contrairement au choix effectué dans Les Garçons sauvages –, à travers des rôles qui auraient, par le passé, été attribués à des hommes (conformément au genre du western notamment) : hommage aux comédiennes ! De la même manière, sans aucune querelle entre les Anciens et les Modernes, le cinéaste fait jouer les techniques entre elles : usage de la pellicule versus numérique, décors naturels versus artifices en studio, musique originale rencontrant les bruits, les souffles et les voix off, au service d’une image gothique ou flamboyante à faire éprouver au spectateur des sensations d’un autre ordre, à interroger la « Vérité » (à travers la voix de Nathalie Richard), ou sa vérité cinématographique… Partant de la phrase suscitée du film que l’on aperçoit écrite sur une pancarte, que nous reprenons à notre compte de spectateur : « rien à revivre, tout est à vivre », car c’est un peu le lot que Bertrand Mandico nous réserve, à la manière culinaire, quitte à décevoir, quitte à impatienter, quitte à surprendre !
En période post pandémique, l’exil n’était-il pas nécessaire (car ne s’agit-il pas d’une histoire d’exil humain, pour ces femmes comme pour leurs sorcières ?), et, comme disait Stéphane Mallarmé : « La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres… Fuir, là-bas fuir… ». Face à sa note hermétique, sa touche d’érotisme, son soupçon d’ésotérisme, peut-être ne faut-il qu’écouter ce que la voix de la Vérité nous susurre à l’oreille : « L’avenir est femme, l’avenir est sorcière », et assister à la lente ouverture de ces fleurs déviantes, non périssables, et même quand elles sont mortes… Dead can dance, under the skin !
RÉALISATEUR : Bertrand Mandico NATIONALITÉ : française AVEC : Elina Löwensohn, Paula Luna, Vimala Pons GENRE : Science-fiction, thriller DURÉE : 2h07 DISTRIBUTEUR : UFO Distribution SORTIE LE 16 février 2022