On avait peut-être terriblement sous-estimé Maïwenn. Or, peut-être plus que bien d’autres, Maïwenn est la seule femme réalisatrice à construire une oeuvre formidablement personnelle, rebelle, qui ne ressemble qu’à elle. ADN, son nouveau film, est ainsi l’occasion de se rendre compte qu’ayant commencé à la marge du cinéma, avec un film autoproduit, elle finit par se retrouver, mine de rien, au centre du cinéma français, en ne reniant absolument rien de ses obsessions et en touchant tout simplement à l’universel : la famille, la recherche de ses origines, la toxicité, la constitution d’une identité.
ADN est un film beau et vibrant, tragique et drôle en même temps, mouvementé comme la vie, plein de ruptures, d’exaltations et de déchirures, car Maïwenn ne cherche pas la perfection, elle préfère la vie.
Divorcée et mère de trois enfants, Neige entretient un lien privilégié avec son grand-père algérien, Emir, qui vit désormais dans une maison de retraite. Il l’a plus ou moins protégée de la toxicité de ses parents, un père absent et narcissique, une mère dominatrice et castratrice. Un jour, Emir disparaît et Neige se voit contrainte de se redéfinir et de partir en quête de ses origines.
Maïwenn est une véritable force de la nature. L’incontestable personnage médiatique qu’elle a toujours été depuis son adolescence a peut-être occulté l’artiste qu’elle est devenue. ADN, son cinquième film, remet en quelque sorte les pendules à l’heure, mettant en valeur l’extrême cohérence de son parcours. Depuis son premier film, elle nous a toujours parlé de ce qui la touchait en plein coeur, de sa famille dysfonctionnelle (Pardonnez-moi) au phénomène des pervers narcissiques (Mon Roi), en passant par le talent des actrices (Le Bal des actrices) et la protection de l’enfance (Polisse). Revenant à une source autofictionnelle qui a de loin en loin irrigué son oeuvre, Maïwenn nous parle d’elle et de sa famille, sans jamais verser dans une autobiographie complaisante mais en touchant d’emblée à l’universel. Le deuil dont elle nous parle, sa recherche des origines, ils deviennent nôtres dès que nous les découvrons dans son film. Pour réussir ce prodige, elle dispose de deux armes imparables. Tout d’abord sa mise en scène qui réussit à capter les moindres petits moments précieux d’une vie (félicitations à la monteuse Laure Gardette qui a su restituer le mouvement de la vie à travers des montagnes de rushes), les échanges impromptus, mélanges d’improvisations et de dialogues écrits. ADN a beau ne durer qu’une heure et demie, il s’y passe une incroyable succession de choses qui nourrissent le film bien plus que des films à la durée bien plus longue. Kechiche n’est pas tout seul au monde, il a une petite soeur. Maïwenn est sans doute aujourd’hui la plus belle et inattendue héritière de Maurice Pialat, dans sa recherche du vrai, entre quotidien bouleversant et tragique drolatique. Cette alliance des genres, cette diversité des tons (on rit et pleure au milieu d’une même scène, comme dans Shakespeare), ce refus des conventions et des idées reçues donnent lieu à des scènes d’anthologie, quasiment toutes les scènes de famille : la première séquence dans la maison de retraite, la discussion sur l’enterrement, la cérémonie. On n’a peut-être jamais rarement aussi bien capté la folie des moments qui suivent le deuil, entre la précipitation des préparatifs (il faut vider la chambre d’hôpital), le sordide et la mesquinerie des petits détails (les clous qui s’enfoncent dans le cercueil) et la tristesse dévastatrice qui accompagne ces moments.
ADN, son nouveau film, est ainsi l’occasion de se rendre compte que Maïwenn finit par se retrouver, mine de rien, au centre du cinéma français, en ne reniant absolument rien de ses obsessions et en touchant tout simplement à l’universel : la famille, la recherche de ses origines, la toxicité, la constitution d’une identité.
Néanmoins c’est aussi dans ces moments-là que Maïwenn sort sa deuxième arme imparable, un humour ravageur. Il se manifeste par des répliques hilarantes, finement observées, « le temps à perdre, ce n’est pas du temps perdu« , énoncées par des comédiens au summum de leur réactivité, – mention spéciale à Louis Garrel, qui a rarement été aussi proche du charme humoristique qu’il distille dans la vie, – et surtout un sens formidable des situations, par exemple les tensions comiques autour de la préparation de l’enterrement, venant des querelles d’ego. Maïwenn n’a absolument peur de rien et ne se refuse rien, y compris une scène quasiment gore avec des serpents, une scène de confrontation très marquante avec sa mère toxique (Fanny Ardant), aussi belle qu’un aria d’opéra, ou encore une promenade sereine et grave sur le vélo de Louis Garrel, où elle croise d’autres possibles fictionnels, histoire de montrer que le monde continue à tourner, malgré son traumatisme de deuil personnel.
Car ADN est aussi un film discrètement engagé, du côté de la liberté des femmes, de l’acceptation de l’apport des étrangers, contre le racisme et la toxicité au sein des familles. Maïwenn représente ainsi une famille recomposée, d’origine algérienne et parfaitement intégrée dans la communauté française. Etant donné le métissage, certains membres dont Neige ont même les yeux bleus, sans que cela choque pour autant. Maïwenn n’hésite pas à pointer les contradictions de ses personnages qui représentent de paradoxaux signes de vie : le fait pour Neige de porter des lentilles de couleur marron, pour paraître plus algérienne, un père d’origine étrangère qui a voté pour l’extrême-droite, le résultat inattendu d’un test ADN, ou une demande de nationalité algérienne, pour pouvoir revenir à ses origines, afin de nous faire mieux comprendre la richesse et la diversité de ce qu’on appelle le peuple français et nous faire interroger sur ce qui constitue notre identité. ADN est un film beau et vibrant, tragique et drôle en même temps, mouvementé comme la vie, plein de ruptures, d’exaltations et de déchirures, car Maïwenn ne cherche pas la perfection, elle préfère la vie.