Adieu Monsieur Haffmann est un film qui questionne, qui perturbe, qui touche et qui bouleverse ; un film au plus proche des êtres humains, dans toute leur simplicité et leur complexité. Adieu Monsieur Haffman est un film sur les premières applications des lois antisémites par les SS ; un film de torture qui torture la conscience.
Adieu Monsieur Haffmann est le sixième long métrage de Fred Cavayé. Après avoir réalisé trois thrillers à succès, il change de registre en 2016 avec une comédie, suivie deux ans plus tard du remake d’un film italien, Le Jeu. Fred Cavayé a donc un passé de scénariste et réalisateur assez varié, et c’est sans compter son début de carrière en tant que photographe de mode, puis réalisateur de courts métrages. C’est dans cette continuité de diversité de création artistique qu’il sort en 2021 Adieu Monsieur Haffmann. Il a longtemps voulu
consacrer un film aux « salauds sous l’Occupation ». Cette envie ou peut-être même ce besoin lui vient du constat que de multiples films ont déjà été consacrés aux résistants, aux justes combattants qui se sont vaillamment engagés contre le régime nazi. Or, n’est-ce pas banaliser la résistance que de la scénariser de manière presque automatique ? Fred Cavayé ne supporte plus le fait que, par le cinéma, la résistance soit présentée comme « la norme », alors qu’elle reste une exception. C’est dans ce contexte que, lorsque son ami
Jean-Philippe Daguerre lui envoie la pièce Adieu Monsieur Haffmann, il n’hésite pas un seul instant à l’adapter au cinéma. Néanmoins, Cavayé ne se contente pas de reprendre littéralement la pièce et en modifie des éléments relatifs au scenario, et ce dans l’optique qu’il corresponde parfaitement à ce qu’il attendait de pouvoir créer depuis tout ce temps.
Adieu Monsieur Haffmann est bien plus qu’un film sur l’Occupation, sur la résistance ou la collaboration ; il s’assume comme un film mettant en place une rare réflexion sur la dualité entre les bons et les crapules, les résistants et les collabos.
En 1941, Joseph Haffmann conjecture l’arrivée du risque quant à la vie de sa communauté par l’adoption des lois anti-juives. Ainsi, le joailler réputé envoie sa femme et ses enfants à la campagne. S’il décide dans un premier temps de rester à Paris pour s’occuper de sa boutique, la mise en œuvre par les SS des lois anti-juives devient trop menaçante. Il propose alors à son employé, François Mercier, de s’occuper de son commerce à sa place jusqu’à la fin de la guerre. Or, Joseph ne parvient pas à quitter Paris et se cache dans la cave du magasin. Progressivement, les clients de Mercier se diversifient, et il commence à sympathiser et commercer avec les riches nazis.
C’est ici qu’intervient la liberté qu’a prise Cavayé dans la scénarisation de la pièce de théâtre que nous évoquions, et tout l’intérêt de ce film. Ce personnage en apparence simple et innocent employé de la bijouterie, devient par l’intervention du scénariste un lâche, qui par peur et intérêt personnel et familial, devient un collabo. Mercier est alors loin du résistant engagé, loin de l’homme fort et humaniste qui se bat à son échelle pour, sans prendre
les armes, s’engager symboliquement en refusant de commercer avec des nazis. C’est un personnage complexe, ambigü, qui suscite d’abord chez le spectateur empathie, puis dégoût et rejet. Mais, au-delà de cela, c’est un personnage qui questionne, remarquablement joué par Gilles Lellouche. Il incarne à la perfection le personnage ambigu qui tombe sous le coup de la faiblesse ; faiblesse qui interroge, qui ouvre la
réflexion du spectateur, faiblesse de l’homme qui se trouve au cœur de ce film.
En effet, on ne retrouve pas dans Adieu Monsieur Haffmann d’un côté l’homme bon et de l’autre le mauvais, Ne campent pas d’un côté les SS, adulant la grandeur de l’Homme providentiel, et de l’autre les résistants luttant avec vaillance contre l’Occupation et le régime nazi. Le film échappe aux représentations traditionnelles, ou plutôt il y a bien davantage, ou bien moins. Moins en ce que les personnages ne représentent pas qu’un titre, ou un statut, mais restituent ce qui existe avant tout cela : une dimension humaine, contradictoire et imprévisible. Adieu Monsieur Haffmann montre des êtres humains vivant sous
l’Occupation et au moment de la mise en œuvre des lois anti-juifs. Le film ne présente pas de héros ou d’anti-héros inné, de dichotomie facile entre les justes et les salauds. Tout d’abord Mercier commence par protéger Monsieur Haffmann, avant de voir les risques que cela représente pour lui et la plus-value qu’il peut retirer d’une relation aimable avec les SS. Adieu Monsieur Haffmann questionne donc le spectateur, celui qui, tranquillement assis dans son siège de cinéma devant un film sur la Résistance, est persuadé
qu’il aurait été le premier au front des sauveurs, mais qui, devant cette histoire, se questionne sur l’injustifiable : qu’aurait-il fait ? Qui aurait-il été ?
Adieu Monsieur Haffmann est bien plus qu’un film sur l’Occupation, sur la résistance ou la collaboration ; il s’assume comme un film mettant en place une rare réflexion sur la dualité entre les bons et les crapules, les résistants et les collabos. C’est ainsi un film
humain, montrant non pas historiquement les débuts de l’Occupation et les premières lois antijuives, mais la contradiction de la condition humaine, à l’échelle d’une vie, une seule. Qu’aurais-je fait, moi, et non la Résistance, pour sauver mes frères, mes sœurs, mes parents, mes enfants ? Aurais-je été le juste redresseur de torts, un salaud innommable, ou bien juste un humain ? C’est la question que Cavayé pose au spectateur, et si son film ne nous donne pas les clés pour y répondre, il nous fournit celles pour y songer longtemps.
RÉALISATEUR : Fred Cavayé NATIONALITÉ : française AVEC : Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau GENRE : Drame, historique DURÉE : 1h56 DISTRIBUTEUR : Pathé SORTIE LE 12 janvier 2022