A plein temps : à bout de course

A plein temps, primé deux fois (meilleure actrice et meilleur metteur en scène) dans la section Orrizonti de la Mostra de Venise, croise le film social et le thriller, en menant tambour battant une course contre la montre d’une mère de famille, pour concilier vie de famille dans une ville paisible éloignée du bruit et de la fureur de la capitale parisienne, et vie professionnelle en exerçant un travail dans cette même capitale. Un grand écart fragile que les grèves viennent bouleverser. C’est encore une fois l’occasion pour l’extraordinaire Laure Calamy pour dévorer l’écran comme rarement d’autres actrices l’ont fait récemment. Témoignage contre la précarisation des diplômés et l’atteinte aux droits des personnes qui veulent vivre à l’abri du stress et du logement restreint, A plein temps remplit toutes les cases du bon film social, sans surprendre ni décevoir.

Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.

Témoignage contre la précarisation des diplômés et l’atteinte aux droits des personnes qui veulent vivre à l’abri du stress et du logement restreint, A plein temps remplit toutes les cases du bon film social, sans surprendre ni décevoir.

Comme dans Les Amours d’Anaïs, on suit une héroïne qui se trouve tout le temps en train de marcher vite, voire de courir. Contrairement au film précité, dans A plein temps, cette course possède un véritable sens. Julie, la protagoniste, manque de temps, habitant loin de son travail de femme de chambre, pour préserver la tranquillité et l’espace nécessaires à une authentique vie de famille. Lorsque se conjuguent recherche d’un emploi correspondant davantage à sa qualification de diplômée et grèves catastrophiques, c’en est trop pour Julie qui se retrouve en permanence sur le fil du rasoir, perpétuellement en retard, en délicatesse avec le règlement, s’absentant sans autorisation pour passer un entretien potentiellement décisif pour son avenir. Bon nombre y retrouveront les échos de situation vécues lors de grèves récentes pré-pandémie, effet donc de reconnaissance garanti. A plein temps montre comment un salarié est pressé comme un citron, dans la droite ligne de l’ultra libéralisation rampante, et voit se retourner contre lui les manifestations sociales qui sont censées le défendre.

L’univers du travail est formidablement bien décrit par un montage efficace, morcelant les gestes et l’empilement de situations anecdotiques mais signifiantes. Le spectateur n’aura pas de mal à identifier le lot de collègues perfides ou de supérieurs hiérarchiques peu amènes. Suivie (ou plutôt précédée) par une caméra dardennienne qui ne manquera aucun de ses pas, Laure Calamy est parfaite en femme du quotidien, largement plus jolie que la moyenne, mais suffisamment normale pour se fondre dans la foule. Elle porte le film sur ses frêles épaules en apparence, en célibattante vaillante et rarement découragée, engendrant une empathie naturelle envers son personnage. De second rôle affûté, elle est passée avec succès à des rôles de solitaires la mettant à chaque fois au centre du film, comme dans Antoinette dans les Cévennes ou Une Femme du monde (où elle stressait déjà beaucoup pour joindre les deux bouts). Laure Calamy se trouve presque en passe de devenir une icône dans la catégorie de personnage de femmes perdues dans leur univers professionnel et sentimental ; ne manque qu’une rencontre décisive avec un grand metteur en scène reconnu pour l’inscrire dans l’histoire du cinéma. Cette série de rôles pourrait presque s’intituler à chaque fois le Calamy show, si la subtile Laure ne se trouvait pas assez souvent dans la retenue et ne laissait pas totalement ses partenaires exister aussi à l’écran. C’est ainsi le cas de Anne Suarez, excellente en supérieure hiérarchique ou Lucie Gallo, en recruteuse qui n’est dupe de rien.

Néanmoins, à force de pousser le bouchon un peu loin dans les situations (mélo)dramatiques (un enfant qui tombe, une femme au bord du suicide), le film est progressivement aspiré par la spirale de son propre mouvement et finit par faire étouffer presque sadiquement ses spectateurs sous le poids d’un suspense invraisemblable, avant de les délivrer par un deus ex machina improbable. Ce léger excès de moyens ne nuit pas totalement à la finalité du projet mais avec le manque d’originalité de la forme qui reste dans la droite ligne d’un film dardennien un peu morcelé, fait qu’A plein temps reste davantage un véhicule efficace pour une Laure Calamy complètement investie qu’un voyage pour une destination inconnue de cinéma.

3.5

RÉALISATEUR :  Eric Gravel
NATIONALITÉ : canadienne, française
AVEC : Laure Calamy, Anne Suarez, Lucie Gallo, Geneviève Mnich, Agathe Dronne
GENRE : Drame
DURÉE : 1h25 
DISTRIBUTEUR : Haut et Court 
SORTIE LE 16 mars 2022