A couteaux tirés : film-Cluedo

Rian Johnson possède une immense qualité, celle de revisiter, voire de dynamiter les genres auxquels il s’attaque. C’était déjà le cas avec Brick, étrange ersatz de film noir se déroulant dans un lycée, à la manière d’un teen movie, ainsi qu’avec Une arnaque presque parfaite, son film d’escroquerie, ensuite avec Looper, révisant les codes du film de voyage spatio-temporel et enfin avec Star Wars VIII : Les Derniers Jedi qui a particulièrement clivé les fans de la saga. On lui doit également certains des meilleurs épisodes de Breaking Bad (La MoucheSeul au monde). A chaque fois, il écrit de A à Z tous les scénarios originaux de ses films. Il en est de même pour A couteaux tirés où il se permet une incursion sarcastique et drolatique dans l’univers du Whodunnit, cette spécialité britannique chère à Agatha Christie, où l’intérêt réside dans l’identification d’un meurtrier dans un lieu clos, schéma narratif qui fut repris dans le jeu populaire Cluedo. A couteaux tirés est donc un film-Cluedo particulièrement jubilatoire, où Rian Johnson s’amuse comme un petit fou avec les codes du genre, en les subvertissant et en les modernisant. 

A couteaux tirés s’avère infiniment réjouissant pour les amateurs du Whodunnit, et surclassant le récent Crime de l’Orient-Express de Kenneth Branagh, par la vivacité de sa mise en scène et de son scénario, a bien des chances de s’imposer comme une nouvelle référence du genre.

Dans un manoir aux Etats-Unis, l’auteur de romans policiers Harlan Thrombey est retrouvé mort, la gorge tranchée. Il avait invité la veille les membres de sa famille à fêter son 85ème anniversaire. Un détective privé, Benoît Blanc, s’immisce dans l’enquête du lieutenant Elliott et craint qu’il s’agisse d’un meurtre. Tous les membres de cette famille dysfonctionnelle peuvent être suspectés…

A couteaux tirés, c’est donc plus ou moins Hercule Poirot à l’heure du Wi-Fi. Le film repose tout d’abord sur une excellente idée de casting, engager Daniel Craig, à peine débarrassé du costume de James Bond pour endosser celui de Benoît Blanc, ce détective égocentrique et légèrement imbu de lui-même. Rian Johnson va peut-être permettre ainsi à Craig d’enchaîner deux franchises successives. On remarquera que ce film réunit pour la deuxième fois Craig et Christopher Plummer, dans le rôle du patriarche tourmenté, après Millenium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes de David Fincher. Au début du film, la mise en place peut paraître un peu longue et forcée, avec ce défilé d’interrogatoires, suite de portraits grimaçants de la bourgeoisie américaine, préoccupée avant tout par l’argent et l’adultère. Cependant, très vite, le film se débloque de lui-même, avec la reconstitution du fameux soir du meurtre. Le montage fait alors des étincelles, Blanc échafaude plusieurs hypothèses contradictoires et a contrario de tous les whodunnit, Rian Johnson offre un énorme twist au bout d’une heure, révélation que nous ne dévoilerons évidemment pas. 

A partir de là, le film va prendre une résonance politique inattendue, opposant une jeune infirmière immigrée, compatissante et généreuse, et les membres de la famille Thrombey, perclus de vices et de mesquineries. A l’arrivée, A couteaux tirés ne se trouve pas si éloigné de Parasite ou de Joker, films interrogeant la situation sociale d’aujourd’hui, même si l’opposition riches-pauvres y est bien plus manichéenne et nettement moins ambivalente que dans les deux cas précités. Rian Johnson signe peut-être ici son meilleur film, s’appuyant sur une distribution pléthorique et talentueuse (Jamie Lee Curtis, Don Johnson, Michael Shannon, Toni Collette, ainsi que Ana de Armas, aperçue dans Blade Runner 2049, qui trouve ici sa meilleure prestation à ce jour), et sur une vitalité stylistique qui ne se dément pas jusqu’à la fin. Certes, il manque un je ne sais quoi ou un presque rien, comme dirait Jankélévitch pour que A couteaux tirés rejoigne le niveau des grands films. Mais, tel quel, il s’avère infiniment réjouissant pour les amateurs du Whodunnit, et surclassant le récent Crime de l’Orient-Express de Kenneth Branagh, par la vivacité de sa mise en scène et de son scénario, a bien des chances de s’imposer comme une nouvelle référence du genre. 

3.5

RÉALISATEUR :  Rian Johnson 
NATIONALITÉ : Etats-Unis
AVEC : Don Johnson - Chris Evans - Christopher Plummer - Daniel Craig - Toni Collette - Jamie Lee Curtis - Michael Shannon (II) - Ana De Armas
GENRE : Comédie, drame, policier
DURÉE : 2h11
DISTRIBUTEUR : Universal International Pictures
SORTIE LE 27 novembre 2019