A contretemps : 24 heures chrono

 

Les acteurs deviennent souvent de très bons metteurs en scène. Les exemples affluent en ce sens (Clint Eastwood, Paul Newman, Robert Redford, etc.), contrairement aux directeurs de la photographie, car les acteurs se trouvent au coeur de la scène et savent faire ressentir de l’intérieur les impacts dramatiques d’une intrigue au spectateur. C’est sans doute le cas du comédien hispano-argentin Juan Diego Botto qui s’essaie pour la première fois à la réalisation avec A contretemps, à mi-chemin entre le film social et le thriller, où nous suivons pendant une journée trois intrigues parallèles qui voient leurs personnages principaux impactés par des expulsions locatives arbitraires et injustifiées.

Madrid, de nos jours. Un avocat investi socialement mais débordé, Rafa, assiste par hasard à l’arrestation d’une petite fille en raison d’un non-paiement de loyers ; il doit impérativement retrouver la mère de la petite fille dans la journée pour éviter qu’elle soit placée dans un foyer. La même journée, Azucena, caissière dans un supermarché, doit faire face à un avis d’expulsion. Enfin, Teodora, une femme âgée, essaie de joindre son fils, Germán, au téléphone, sans succès.

A mi-chemin entre le film social et le thriller, où nous suivons pendant une journée trois intrigues parallèles qui voient leurs personnages principaux impactés par des expulsions locatives arbitraires et injustifiées.

Le thème des expulsions locatives, en particulier des victimes du crédit hypothécaire, est de plus en plus prégnant en Espagne : comme l’indique l’un des cartons du générique de fin d’A contretemps, 400 000 expulsions ont eu lieu en Espagne lors des dix dernières années, jusqu’à 100 par jour lors des dernières années. Le phénomène espagnol n’est évidemment qu’un pâle reflet de ce qui se passe dans l’ensemble du monde, en particulier aux Etats-Unis, ce dont l’excellent 99 homes de Ramin Bahrani, Grand Prix du Festival de Deauville 2015, jamais sorti en salles en France, s’était déjà fait l’écho. Pour traiter ce thème sociétal particulièrement angoissant, Juan Diego Botto a choisi une structure tripartite comparable à celle des trois premiers films de Alejandro Gonzales Inarritu (Amours chiennes, 21 grammes, Babel), afin de montrer que ce phénomène affecte toutes les couches sociales et générations : une femme immigrée et sa fille, une modeste employée de supermarché, une vieille dame ayant financé à perte l’entreprise de son fils.

Ce faisant, Juan Diego Botto parvient ainsi à dresser le constat d’une société espagnole à bout de souffle, à la recherche des moyens de subsistance les plus élémentaires. Il a également effectué un choix assez risqué. Au lieu de s’en tenir à une description naturaliste des causes et conséquences de l’expulsion locative comme les Dardenne, Ken Loach ou Stéphane Brizé, il a préféré le faire sous forme de thriller à la manière de 24h Chrono, la série culte des années 2000. D’où sans doute le titre faisant référence au temps : nous allons en effet partager les affres de Rafa lancé dans une course à la montre pour retrouver Badía, la mère négligente de Selma, ainsi que l’anxiété de Azucena, devant faire face à une expulsion prévue le lendemain, ou encore celle d’un fils essayant d’empêcher le suicide de sa mère.

Le procédé est efficace et permet d’immerger le spectateur dans cette situation catastrophique d’expulsion affectant la plupart des personnages du film. Ce qui donne l’occasion de moments dramatiques mémorables confiés à ces grands acteurs qu’on ne présente plus, Luis Tosar et Penelope Cruz, également coproductrice du film, qui montre ici une conscience sociale bien éloignée des tourments existentiels des films de son ami Pedro Almodóvar.

3.5

RÉALISATEUR : Juan Diego Botto 
NATIONALITÉ :  espagnole 
GENRE : drame, thriller 
AVEC : Penelope Cruz, Luis Tosar 
DURÉE : 1h43
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution
SORTIE LE 5 juillet 2023