A coeur battant : A travers un écran

Un homme et une femme, Boy meets girl, sujet éternel et ô combien rebattu. Comment donc le renouveler? Keren Ben Rafael a trouvé un embryon de solution en mettant ses protagonistes à des milliers de kilomètres de distance, l’une restant en France avec son enfant, l’autre revenant en Israel afin de se faire confectionner un visa pour rejoindre sa bien-aimée. A cœur battant se présente donc comme un film de dispositif, les deux tourtereaux restant en contact grâce à Skype ou Zoom, un outil de visioconférence. Avec une étrange prémonition, le film préfigure ce qui allait considérablement se populariser grâce à la période de confinement, la plupart des gens demeurant en communication avec leur famille proche grâce à ce biais.

Avec une étrange prémonition, le film préfigure ce qui allait considérablement se populariser grâce à la période de confinement, la plupart des gens demeurant en communication avec leur famille proche grâce au biais technologique de la visioconférence.

Après s’être connus à Paris, Julie et Yuval sont obligés de se séparer. L’une est journaliste, l’autre photographe. Yuval doit repartir à Tel-Aviv dans sa famille, avant de se faire préparer un visa de séjour en France. Ils restent néanmoins en contact quasi quotidien grâce à la visioconférence. Pourtant cette vie par écrans interposés va progressivement trouver ses limites… 

La gageure est considérable, raconter une histoire alors que les protagonistes ne se trouvent jamais réellement ensemble. Le pari est tenu de belle manière par Keren Ben Rafael car, d’un point de vue technique, il s’agissait de donner l’illusion d’un contact en visio alors que le film a été tourné en montant en parallèle des acteurs qui ne dialoguaient jamais ensemble en temps réel. Comme film de dispositif, A cœur battant affiche donc une réelle réussite puisqu’il est impossible de se rendre compte de l’illusion et de douter que ces gens s’aiment, parlent et se déchirent en direct, devant nous.  

De plus, par la grâce des comédiens, A cœur battant nous attache à ses personnages : Julie (Judith Chemla, extraordinaire comme souvent), jeune femme cherchant à affirmer son indépendance face à une mère à forte personnalité (Noémie Lvovsky, fantastique en deux scènes seulement) ; Yuval (Ariel Worthalter, grande révélation du film, sorte de Joaquin Phoenix israélien), un artiste un brin immature, qui ne sait pas trop s’il veut rester à Tel-Aviv ou s’établir définitivement à Paris, pour y commencer une autre vie pleine de responsabilités. Signalons également Vassili Schneider, hilarant en baby-sitter, qui complète une belle distribution, manifestement le point fort du film.

Pourtant, en dépit de belles séquences pleines de vérité dramaturgique (l’anniversaire du bébé, le moment où Julie abandonne son bébé devant l’écran impuissant de Yuval), le dispositif, comme l’amour, finit par atteindre ses propres limites. Même si Keren Ben Rafael a brillamment résolu la difficulté technique du filmage de la visioconférence, elle ne joue pas suffisamment avec les contraintes de son cadre, en particulier le hors-champ. Le film s’achemine doucement mais sûrement vers une fin attendue, encore plus prévisible avec son titre originel du film, The End of love, évoquant de loin un Antonioni à distance. Mais la fin pourrait éventuellement s’interpréter d’une autre manière : après cet éloignement forcé, une renaissance possible?

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RÉALISATEUR : Keren Ben Rafael
NATIONALITÉ : français-israélien
AVEC : Judith Chemla, Ariel Worthaler, Noémie Lvovsky
GENRE : Drame
DURÉE : 1h30
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution
SORTIE LE 30 septembre 2020