Labellisé Cannes 2020, Passion simple de Danielle Arbid a souffert de nombreuses déprogrammations suite aux divers reconfinements. Cette fois-ci semble être la bonne pour cette adaptation d’un court récit d’Annie Ernaux, où une passion amoureuse est relatée, de l’obsession jusqu’à la perte de soi. Le sujet s’avère difficile, voire par certains aspects scabreux. Comment est-il possible d’exprimer ce qui appartient souvent à l’indicible, c’est-à-dire, la manière dont les pensées au sujet d’une personne peut remplir une vie et lui donner tout son sens?
Depuis qu’elle l’a rencontré, Hélène Auguste, écrivaine, ne peut s’empêcher de penser à Alexandre, un Russe travaillant dans le domaine de la sécurité au Consulat de Russie. Elle qui mène une vie équilibrée entre les cours de littérature qu’elle donne à la faculté, son fils qu’elle élève seule et ses quelques amis, voit son existence remise en cause de fond en comble.
Passion simple ne s’avère en fait ni assez intellectuel ni assez sexuel pour pouvoir figurer l’une ou l’autre des différentes facettes de la passion.
La passion est certainement le plus beau et dangereux des sujets. Dans Passion simple, le livre de 77 pages, Annie Ernaux évacue l’aspect sexuel de cette passion, en se concentrant surtout sur l’absence et le manque qu’elle crée. Dans son film, Danielle Arbid avait deux options ; un choix éthéré et lyrique, représenté au plus haut niveau par Hiroshima mon amour, écrit par Marguerite Duras et filmé par Alain Resnais, dont un extrait figure dans Passion simple ; une autre possibilité plus prosaïque, celle de montrer l’aspect charnel de la passion. Elle a opté pour un entre-deux, penchant tout de même très nettement pour l’aspect quotidien, physique et concret de la relation. Or, ce faisant, elle n’atteint aucun des deux objectifs, son film n’étant ni assez intellectuel ni assez sexuel pour pouvoir figurer l’une ou l’autre des différentes facettes de la passion.
Pourtant le film commence de manière saisissante par un gros plan du visage de Laetitia Dosch qui ressemble beaucoup à Annie Ernaux, telle qu’on pourrait l’imaginer jeune. De ce point de vue, l’identification est totale et se révèle être réussie. Ce sera malheureusement le seul point positif du film. Laetitia Dosch, souvent touchante, s’est beaucoup investie dans ce film, ce qui fait que l’on adhère a minima au parcours de son personnage, – soutenu parfois par Caroline Ducey, remarquable dans deux scènes – ,en dépit d’un très sérieux écueil. Car son partenaire, Sergei Polunin, danseur de formation, ne crée aucune alchimie réelle avec elle, ce qui s’avère très dommageable en particulier pour les scènes de sexe, relativement nombreuses. Pour qu’une alchimie physique ait lieu, il ne suffit pas que des corps s’emboîtent mais il faudrait que la circulation du désir soit tangible pour le spectateur. Cela n’arrive jamais dans Passion simple, qui ne parvient pas à rendre son actrice, pourtant objectivement jolie, suffisamment attirante et sexy dans la fiction. Laetitia Dosch n’est tristement pas aidée par son partenaire, ersatz de loin d’Alain Delon, qui, bien qu’agent de sécurité du Consulat, s’évertue à marmonner un anglais de niveau sixième. Dans ces conditions, il est donc extrêmement difficile d’atteindre le niveau de crédibilité et de représentation de l’amour charnel constaté dans L’Empire des sens ou certains films de Catherine Breillat. Le film se résume à une alternance entre des scènes sexuelles (parfois filmées, au secours, au ralenti), des scènes platement dialoguées et des intermèdes musicaux censés coller textuellement à l’intrigue (Ne me quitte pas en version anglaise par Nina Simone, I want you de Bob Dylan, The Stranger song de Leonard Cohen), qui ne fusionnent jamais avec l’image, en ne fournissant pas des moments d’émotion a priori anticipés par la réalisatrice. L’échec du film provient de ce que parvenait à atteindre le livre concis et ramassé d’Annie Ernaux, décrire les symptômes de la passion amoureuse et courir après une énigme, celle de cet homme mystérieux, comme si le vide nourrissait les conjectures et permettait par la littérature, en exprimant le moins possible de faits de signifier le plus possible de sentiments. Comme si l’écriture permettait davantage de tourner autour du vide alors que le cinéma a davantage besoin d’incarnation et d’informations. Or, à l’écran, vu le manque d’alchimie entre les partenaires, le film se contente de ressasser des lieux communs et d’illustrer une musique censée être synchrone de la passion des personnages mais qui en exprime surtout le néant.
RÉALISATEUR : Danielle Arbid NATIONALITÉ : française AVEC : Laetitia Dosch, Sergei Polunin, Lou Teymour-Thion, Caroline Ducey GENRE : Drame, romance DURÉE : 1h39 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 11 août