Fata Morgana : à la recherche d’un Eden perdu

Ce n’est que le quatrième long-métrage (et deuxième documentaire) dans la carrière cinématographique de Werner Herzog. En 1968, ce dernier décide de s’embarquer pour l’Afrique avec une équipe de tournage et y passe presque toute l’année 1969. Il en rassemblera la matière pour trois films dont Fata Morgana. Il fait alors partie de la première génération du nouveau cinéma allemand tournant avec de faibles moyens économiques tout en soignant l’esthétique et travaillant avec des acteurs amateurs voire non-professionnels. Le film se divise en trois parties signalées par trois intertitres nous racontant l’histoire de l’humanité de ses débuts jusqu’à ce qui est appelé l’Age d’or (titre de la troisième partie). Chaque partie nous offre des images documentaires tirées des paysages d’Afrique – plutôt désertiques – accompagnées d’une voix off différente à chaque changement de partie. La première partie nous narre l’origine du monde de la division de la Terre et de la Mer à la création de l’homme avec par-dessus les images la voix de Lotte Eisner, historienne et critique du cinéma bien connue et amie de Werner Herzog.

Le récit se veut syncrétique, alliant références à la Genèse dont il suit pour l’essentiel la trame aux divinités mayas (Hucatan, Cumuzcu) sur fond de paysage désertique africain. Le commentaire de la première partie est tiré du Popol Vuh, un texte sacré des indiens du Guatemala (les Quichis) datant du XVIème siècle dans lequel le monde est d’abord une succession d’erreurs: les Dieux doivent s’y prendre à plusieurs fois, exterminant à plusieurs reprises la race humaine – cf. l’épisode du Déluge dans la Bible –  pour tout reprendre à zéro. Un long travelling, interrompu puis repris dans sa continuité, caresse les dunes du désert comme un corps en proie à la fièvre. L’homme n’y apparaît pas d’abord – n’ayant pas été encore créé – même si ça et là quelques vestiges – la carcasse d’un avion écrasé au sol – attestent d’une présence humaine. Puis ce sont des habitations rudimentaires voire des grottes aménagées en abris. Un des rares travelling vertical du film suit une chute d’eau du sommet d’un piton rocheux au fleuve dans lequel elle se déverse. Mais le travelling horizontal reprend nous entraînant dans une monotonie enchantée sur fond de musique classique alternant avec de la musique traditionnelle jusqu’à un folk emprunté notamment à Leonard Cohen.

La civilisation a abîmé les lieux d’une nature trop belle pour être habitée par l’homme.

L’on se demande comment et de quoi vivent ces gens en plein désert tel le varan que l’un des membres de l’équipe de tournage montre face caméra et dont il prétend faire l’étude. C’est pourtant le lieu qu’il désigne comme un Paradis – titre de la deuxième partie du film – par contraste avec les villes occidentales où règnent l’abondance mais aussi la pollution et l’angoisse. Ici, la société dite « civilisée » est recouverte par les sables comme ces carcasses de voiture le toit en bas qui attestent du passage de l’homme dans ces contrées. Espace encore vierge ou presque: des torches immenses s’élancent au ciel issues de cheminées élevées en hauteur. Des enfants posent devant la caméra, innocence de l’humanité ou presque: comme un pied de nez à son propre discours, l’un des gamins quémande un dinar pour faire ce que l’on attend de lui.

Mais c’est aussi une terre où la mort est omniprésente et des forces hostiles s’opposent à la vie dans ces contrées comme en attestent les nombreux plans filmés de près de carcasses en putréfaction d’animaux enfouis dans le sable. De même, la civilisation a abîmé les lieux d’une nature trop belle pour être habitée par l’homme. Le Paradis est triste, mélancolique, ennuyeux. La vie y semble sans finalité et absurde. Un absurde qui cumule avec les dernières images du film: un couple improbable de musiciens – l’homme à la batterie porte des lunettes de piscine – un pseudo prêtre sanctifiant la terre sur des paroles déconnectées de la réalité et un plongeur jouant avec une tortue marine. Malgré la noirceur du propos en forme de fin du monde, le rythme et les images du film invitent à la contemplation, peut-être celle d’un monde plus pur et primitif enfoui sous les détritus accumulés d’une civilisation corruptrice.

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RÉALISATEUR : Werner Herzog
NATIONALITÉ : Allemagne de l'Ouest
GENRE : Documentaire, drame
AVEC : Lotte Eisner, Wolfgang Büttner, Manfred Eigendorf
DURÉE : 1h13
DISTRIBUTEUR : Potemkine Films
SORTIE LE 19 novembre 2025