Que faire lorsque vos parents vous enferment dans leurs rêves de conformisme. Maman vous a acheté un terrain au pays, Papa veut vous aider à y construire une maison, tout le monde s’attend à ce que vous preniez femme et fassiez fissa des enfants — vous avez déjà quarante ans et perdez vos cheveux, il s’agirait de se dépêcher un petit peu. Le Tchétchène Déni Oumar Pitsaev répond en enfermant Maman, Papa et les autres dans son — magnifique — documentaire. Choc des cultures plutôt qu’impossible retour — le réalisateur, qui se met en scène dans son propre film, vit à Paris, a grandi de ville en ville, et n’avait jamais mis les pieds dans la campagne géorgienne qu’il semble découvrir en même temps que le spectateur. Splendides vues des horizons montagneux derrière lesquels s’étend la Tchétchénie natale, réflexion sur la liberté vs. la famille, et le poids voire la pesanteur des traditions — mémorables séquences ’’entre femmes’’ sur fond de muezzin fatigué, puis entre hommes avec flingue —, évocation des blessures jamais refermées de la séparation des parents, ainsi que du traumatisme de la guerre et de l’exil, questionnement sur le cinéma ’’du réel’’, il y a tellement de choses qui se passent dans le film. On se demande comment il a été préparé, et à quel point Pitsaev, aussi frêle dans son apparence qu’inflexible dans sa volonté, manipule son entourage — avec une bonhomie tout ce qu’il y a de madrée. On se demande si le sens de la diplomatie de l’entourage n’est du reste pas lui-même aiguisé par la présence de la caméra, et quoi qu’il en soit le climat de bienveillance généralisée ne masque pourtant pas les difficultés. On se demande enfin à quel point le tournage du film fut le catalyseur d’un fructueux dialogue avec le père perdu de vue.
Deux mots sur le titre pour conclure, je me demande si Pitsaev ne fait pas erreur en parlant d’imago — l’intitulé du film fait référence au terme biologique qui désigne la forme adulte de certains insectes, papillon par exemple — et ne voulait pas plutôt dire, néoténie, lorsqu’il évoque la stagnation à l’état larvaire de certains êtres vivants, dont la reproduction donne naissance à des êtres qui resteront eux-mêmes larves, axolotl par exemple. Quoi qu’il en soit, il est tentant d’entendre aussi le titre comme de l’anglais argotique, I’m a go, il faut que je me tire d’ici.


