La Femme la plus riche du monde : abus de faiblesse (du spectateur)

L’affaire Banier-Bettencourt, opposant autour de Liliane Bettencourt, la femme la plus riche du monde, -d’où le titre du film – sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers au photographe François-Marie Banier, accusé d’avoir profité de l’état intellectuel déficient de sa « meilleure amie », appartient à l’étoffe des faits divers qui engendrent la fiction, et noient l’ensemble de ses protagonistes dans un marécage mauriacien de détestations recuites et de jalousies réciproques. Une mini-série documentaire diffusée sur Netflix en 2023, L’affaire Bettencourt : scandale chez la femme la plus riche du monde, de Baptiste Etchegaray et Maxime Bonnet, s’en était déjà inspirée en s’appuyant sur les enregistrements clandestins réalisés par le majordome de la femme d’affaires. Mais une telle manne psychologique de conflits juridico-financiers ne pouvait guère échapper au cinéma. C’est désormais chose faite avec La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, film grand public, disposant d’une prestigieuse distribution, présenté hors compétition à la dernière édition du Festival de Cannes.

Marianne Farrère (Isabelle Huppert), à la tête d’une immense fortune, étant héritière d’un grand groupe de cosmétiques, verse des sommes considérables à Pierre-Alain (Laurent Lafitte), un jeune artiste-photographe, écrivain à ses heures. Sa fille Frédérique (Marina Foïs) voit là un abus de faiblesse et attaque en justice pour récupérer cet argent.

La Femme la plus riche du monde ressemble à un empilement de scènes à faire, auxquelles il manque un liant, une construction dramatique, un rythme.

Netflix en ayant fait une série à suspense qui s’est hissée en tête des audiences, la matière psychologique se trouvait donc là, extrêmement riche et dense. Le film commence plutôt bien, se plaçant sous le patronage de Guitry (pour la volonté d’écrire des dialogues acérés) et Chabrol (pour la peinture d’un milieu ultra-bourgeois pourri de l’intérieur). Dans cette comédie des apparences, les acteurs tiennent ainsi relativement bien leur rôle. Malheureusement, au fur et à mesure que le film avance, le spectateur va s’apercevoir que, Thierry Klifa et ses coscénaristes ne possèdent pas l’ombre d’un point de vue sur l’affaire Banier-Bettencourt. En exagérant les caractéristiques des uns et des autres (surtout de Pierre-Alain), ils se contentent de retranscrire avec une certaine fidélité (en particulier les révélations sur le passé du mari), mais en négligeant le sens du suspense et du drame, les circonstances de l’affaire. La Femme la plus riche du monde ressemble à un empilement de scènes à faire, auxquelles il manque un liant, une construction dramatique, un rythme. Les scènes s’arrêtent et s’enchaînent, en suivant un tempo effréné et dépourvu de sens. Il faudrait n’avoir aucun sens du cinéma, d’une pulsation juste, d’une réalité en laquelle il est possible de croire, pour considérer ce théâtre de marionnettes comme du cinéma.

Thierry Klifa vient d’une rédaction de cinéma, celle de Studio, à laquelle appartenaient aussi Marc Esposito et Laurent Tirard, adeptes d’un cinéma populaire et grand public qui n’a guère marqué les esprits. Nous sommes certes loin du quintet magique Godard-Chabrol-Truffaut-Rohmer-Rivette, issu des Cahiers du Cinéma, où la mise en scène représentait un point d’honneur, Ce quintet avait laissé croire que critique et cinéma faisaient bon ménage. Or les générations postérieures ont plutôt démontré le contraire. Hormis Olivier Assayas, les autres critiques des Cahiers (Jousse, Saada, Anger) ne se sont guère illustrés de manière mémorable par leur passage derrière la caméra, en étant pourtant biberonnés au dogme de la Politique des Auteurs. Pour Klifa, on a la vague impression que la mise en scène consiste à faire jouer ses acteurs et à enchaîner mécaniquement les scènes sans répit dans un ectoplasme cinématographique.

Dans ce fatras mollasson dépourvu de tension, seuls les acteurs peuvent attirer l’attention et tirer leur épingle du jeu. Ce n’est pourtant pas le cas de tous les acteurs. Héritant d’un personnage excentrique et « bigger than life », Laurent Lafitte se complait dans le surjeu permanent. On peut largement préférer les compositions discrètes, ténues mais tenaces de Marina Foïs, André Marcon et Raphael Personnaz qui parviennent à incarner des silhouettes en les détachant des clichés qui les entourent. Pourtant celle qui tire à nouveau le mieux son épingle du jeu demeure Isabelle Huppert. Elle partait pourtant avec de sérieux handicaps : beaucoup trop jeune et encore jolie pour incarner une dame respectable se trouvant entre 80 et 90 ans, trop intelligente et en pleine maîtrise d’elle-même pour laisser croire à un abus de faiblesse qui la frapperait et la rendrait démunie. Mais sans faire d’efforts apparents, elle parvient à être le centre naturel de l’histoire, et à faire du film, pourtant peu digne d’éloges, une pièce supplémentaire de son oeuvre d’actrice. Comme par hasard, Huppert avait déjà interprété une femme d’âge mûr victime d’un Abus de faiblesse dans le film éponyme de Catherine Breillat. Comme par hasard également, elle a déjà partagé l’affiche dans Elle de Paul Verhoeven, avec Laurent Lafitte, ce dernier interprétant son violeur et elle-même étant plus ou moins consentante. Tous ces éléments finissent par fonctionner de manière indépendante de l’histoire du film pour nourrir l’oeuvre huppertienne, et donner à La Femme la plus riche du monde un cachet qui ne lui appartient pas vraiment.

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RÉALISATEUR : Thierry Klifa 
NATIONALITÉ : française
GENRE : comédie dramatique
AVEC : Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs, Raphael Personnaz, André Marcon
DURÉE : 2h03
DISTRIBUTEUR : Haut et Court
SORTIE LE 29 octobre 2025