Présenté dans la section Un Certain Regard cette année à Cannes, Lumière pâle sur les collines, cinquième film de Kei Ishikawa, contrevenait aux règles de cette section qui n’aurait dû exposer que des premiers et deuxièmes films. Mais Thierry Frémaux, fin connaisseur du cinéma international, a joué du fait que seul A man a bénéficié d’une sortie en France, les trois autres, dont un film collectif orchestré par Hirokazu Kore-eda, Anticipation Japon, ayant écopé d’une date de sortie indéterminée ou au mieux d’une diffusion en ligne sur plateforme. A Man, en remportant huit récompenses aux Japan Academy Prize, les César japonais, a réellement fait exister Ken Ishikawa sur la carte du cinéma international. Adapté du premier roman de Kazuo Ishuguro, écrivain nippo-britannique, couronné par le Prix Nobel de littérature en 2017, Lumière pâle sur les collines explore à nouveau les vertiges de l’identité, sous couvert de film d’époque, dans un chassé-croisé entre un présent à Londres en 1982 et un passé brumeux à Nagasaki, juste après la Seconde Guerre Mondiale.
Royaume-Uni, 1982. Une jeune anglo-japonaise entreprend d’écrire un livre sur la vie de sa mère, Etsuko, marquée par les années d’après-guerre à Nagasaki et hantée par le suicide de sa fille aînée. Etsuko commence le récit de ses souvenirs trente ans plus tôt, lors de sa première grossesse, quand elle se lia d’amitié avec la plus solitaire de ses voisines, Sachiko, une jeune veuve qui élevait seule sa fille. Au fil des discussions, l’écrivaine remarque une certaine discordance dans les souvenirs de sa mère… les fantômes de son passé semblent toujours là – silencieux, mais tenaces.
Le film orchestre une alternance entre plongées dans un passé historique traumatique et des retours au présent peu passionnants.
Après la révélation de A Man, thriller intrigant au scénario à tiroirs, Lumière pâle sur les collines était donc très attendu. Le principal risque du film était qu’il sombre dans la fatale reconstitution du film d’époque, une bonne moitié, sinon plus, du film se passant à la fin des années quarante, après la Seconde Guerre Mondiale. Avouons que le film n’y échappe pas tout à fait, mais au bout du compte, ce n’est guère son principal défaut. Le film orchestre une alternance entre plongées dans un passé historique traumatique et des retours au présent peu passionnants. Or finalement, entre le présent sombre et le passé plus lumineux, c’est ce dernier, même reconstitué de manière assez académique, qui s’impose comme le plus intéressant.
La langueur était déjà le péché mignon de A Man qui, en dépit d’un scénario bien construit, faisait traîner sa première heure au-delà du raisonnable. On retrouve ce défaut récurrent dans Lumière pâle sur les collines qui semble présenter une intrigue assez ordinaire de voisinage, avant qu’on s’interroge sur la réalité des personnages exposés à l’écran : Sachiko et sa fille Mariko existent-elles bien ou ne sont-elles que les reflets fantasmés de Etsuko et de Keiko sa fille prétendument suicidée car n’ayant pu s’adapter à l’Angleterre? Au visionnage, le doute reste permis et Ishikawa ne fait absolument rien pour lever l’ambiguïté, confusion qui existait déjà dans le roman. Une scène troublante reste ainsi en suspens entre une fille éplorée et une mère possible meurtrière.
Visuellement, le film d’Ishikawa est splendide, avec des plans qui, même retravaillés par le numérique, demeurent stupéfiants de beauté. De manière limpide, Ishikawa s’inscrit dans une généalogie assez claire du cinéma japonais (Ozu, Kore-eda à qui il emprunte Suzu Hirose, l’actrice de Notre petite soeur et de The Third Murder). Il bute néanmoins sur une opacité savamment calculée ou maladroitement gérée, aspect assez indécidable au visionnage de l’oeuvre. S’il réglait ce noeud narratif qu’il semble affectionner, celui du vertige des identités, il accéderait sans doute à une plus grande accessibilité de son cinéma.
Note : 3/5
RÉALISATEUR : Kei Ishikawa
NATIONALITÉ : japonaise
GENRE : drame
AVEC : Suzu Hirose, Fumi Nikaidô, Yoh Yoshida
DURÉE : 2h03
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport
SORTIE LE 15 octobre 2025