Après avoir exploré le monde de l’agriculture et de la campagne française avec son précédent film Petit Paysan (2017) – monde dont il est lui-même issu, étant fils de fermiers – le réalisateur nous invite dans son nouveau film, montré à Cannes à la Semaine de la Critique, dans la petite ville de Saint-Dizier – ville d’enfance de Hubert Charuel – où vivent trois jeunes hommes entre lesquels s’est nouée une amitié indéfectible. Tony a fondé son entreprise de BTP et travaille sur des chantiers. Il est à cet égard l’image d’une certaine réussite sociale. A l’opposé, Mika et Dan qui habitent ensemble en colocation dans une maison qui leur est prêtée par un ami en échange de menus services galèrent : tandis que Mika travaille comme employé dans un fast-food, Dan est au chômage. Les deux amis rêvent d’un voyage à La Réunion pour aller s’occuper d’animaux malades au sein d’un chenil.
A l’issue d’un plan raté, ils se font arrêter par la police et sont soupçonnés d’avoir voulu dérober un chat de concours pour le compte d’un ami. Mika est accusé d’avoir conduit en état d’ébriété et sous l’emprise de la drogue, en l’occurrence du cannabis, et son permis lui est retiré. Ils vont devoir faire bonne figure pour affronter le procès qui les attend et d’abord trouver un travail et faire preuve d’abstinence dans leur consommation d’alcool et de stupéfiants. Tony décide de leur donner un coup de main en acceptant de les embaucher dans son entreprise sur le chantier d’une agence de gestion des déchets nucléaires. Mais Dan continue de boire et met gravement en danger sa santé. Une tension naît alors entre eux sur fond de misère sociale : la caméra filme le paysage urbain marqué par le développement industriel, les barres d’immeubles de cité, la grisaille sans fin de la ville. Tout y paraît moche et vide comme le souligne lui-même Mika à l’occasion d’un dialogue.
La caméra alterne entre sa façon de filmer des espaces vides au sein desquels les personnages semblent vaciller – comme leur destin – en proie à un vertige que partage le spectateur, et son insistance sur les plans serrés entre les trois amis que l’amour unit et qui les maintient debout.
Hubert Charuel nous plonge dans le milieu du sous-prolétariat français, ici à l’est de la France dans le département de la Haute-Marne, à Saint-Dizier, à mi-chemin entre Paris et Strasbourg. L’industrie métallurgique, fleuron de la ville, y est abondamment représentée, ainsi que l’ancien site de la marque emblématique de crèmes glacées Miko au pied de la tour de laquelle se retrouvent ponctuellement les trois amis pour y boire une bière. Ainsi, le climat du film oscille entre le rêve fou d’une vie recommencée au loin, dans un site paradisiaque à des milliers de kilomètres de la métropole, et la dure réalité du travail – alimentaire à défaut d’autre chose – des difficultés quotidiennes pour simplement survivre. On aurait d’ailleurs voulu voir développer un peu plus cet aspect-là du film.
Mais celui-ci se focalise sur l’avenir du couple d’amis formé par Dan et Mika que rien ne semble pouvoir séparer. L’alcoolisme de Dan est une des composantes du portrait-type d’un sous-prolétariat livré à lui-même, sans avenir ni promesses, avec la consommation de drogue chez les plus jeunes, sans parler de l’anxiété étouffante qui étreint Mika et de la dépression qui s’ensuit chez lui. La caméra alterne entre sa façon de filmer des espaces vides au sein desquels les personnages semblent vaciller – comme leur destin – en proie à un vertige que partage le spectateur, et son insistance sur les plans serrés entre les trois amis que l’amour unit et qui les maintient debout. On note le travail précis d’expression de Paul Kircher qui commence à avoir derrière lui – déjà – une belle carrière cinématographique. Hommage à une population – défaite mais courageuse – dont on parle trop peu au cinéma autant qu’elle est délaissée par la politique.