Si vous avez lu le roman Connemara, de Nicolas Mathieu, vous savez pourquoi le livre et désormais le film se nomment ainsi. La scène festive que vous verrez à l’écran ne ressemble en rien à l’originale écrite, mais l’idée du récit persiste dans ce tube de Michel Sardou : ce titre qui fait autant danser la France populaire que grincer des dents la France bourgeoise ou aristo. Connemara, comme un parfait thermomètre pour juger de la “beaufitude” d’un lieu, d’une fête, d’une foule trop alcoolisée. Une frontière auditive entre deux univers. Pour la deuxième fois en un an, après Leurs enfants après eux, le Prix Goncourt Nicolas Mathieu voit donc une de ses œuvres, romans sociaux des périphéries, adaptées sur grand écran. Alex Lutz s’y colle avec courage et sérieux, pour un résultat poétique mais assez inégal, de belles interprétations de la part de Bastien Bouillon et Mélanie Thierry, mais des longueurs et des effets de style qui plombent parfois des émotions à fleur de peau. Surtout, un autre ennemi du film, présenté dans la sélection Cannes Première 2025, reste peut-être Partir un jour, le film d’ouverture du Festival, avec lequel la comparaison ne peut être que douloureuse.
Après un burn-out, Hélène, quadra maman de deux petites filles, quitte Paris et rentre chez elle dans les Vosges et son milieu d’origine modeste. Un soir, elle recroise Christophe Marchal, le beau gosse du lycée dont elle était secrètement amoureuse. S’ensuit une liaison adultérine passionnée, pour laquelle toute la vie d’Hélène semble prête à basculer. Mais l’écart entre “celle qui est partie pour réussir” et le “prolo qui est resté” peut-il s’atténuer ? Un amour est-il seulement envisageable entre ces deux mondes que tout oppose ?
Les plus belles scènes restent alors celles des heures volées par Hélène et Christophe, au plus proche de la peau
« La colère venait dès le réveil. » En ouvrant son film avec une lecture quasi mot pour mot des premières phrases du roman de Nicolas Mathieu, Alex Lutz assume : “son” Connemara veut toucher à la lumière de la prose du romancier. On entre de plain-pied dans la sensibilité du réalisateur et du film à venir, où cette voix off littéraire reviendra plusieurs fois pour commenter les pensées d’Hélène. Un procédé couplé à un travail esthétique très fort sur l’image. Les premières intentions fonctionnent et nous embarquent avec poésie, mais on se lasse peut-être un peu, au fil des minutes, d’une utilisation parfois excessive du flou, des gros plans et des flashbacks. Les plus belles scènes restent alors celles des heures volées par Hélène et Christophe, au plus proche de la peau, dans les chambres louées à la journée pour leur idylle interdite et que l’on devine déjà condamnée.
Mais c’est finalement un sentiment de trop peu qui envahit. Face à cette histoire d’amour et au désenchantement d’Hélène, on passe à côté des pépites du livre : une compréhension plus fine de l’enfance de cette femme qui s’est brûlée à vouloir s’extraire de son milieu, davantage d’interactions avec les personnages secondaires de son enfance et avec son milieu professionnel si violent, et la description sans fard de cette France périphérique chère à l’auteur du roman. Et si Mélanie Thierry et Bastien Bouillon jouent avec justesse leur partition – la femme détruite par un burn-out et la colère sourde qui l’habite, trop fière, et le gars simple et doux – ce dernier reste comme dans l’ombre d’un autre “provincial qui n’a pas bougé” : le personnage de Raphaël, dans le Partir un jour d’Amélie Bonnin.
Alors que cette histoire d’amour nous prend peu à peu, la dernière scène lance finalement le Connemara de Michel Sardou, où Hélène, prise d’angoisse, comprend qu’elle ne fera plus jamais partie de ce monde et qu’elle a tout perdu. Que finalement, même son mari en costume et ennuyeux, mais issu du bon milieu, pourrait lui manquer ! Et, l’on se demande : les spectateurs n’ayant pas lu le livre ont-ils accumulé suffisamment d’informations et d’émotions pour percevoir l’issue terrible ?
Peut-être, tout simplement, mieux vaut-il ne pas avoir eu entre les mains le roman de Nicolas Mathieu si l’on veut apprécier au mieux le travail d’Alex Lutz.
RÉALISATEUR : Alex Lutz NATIONALITÉ : Française GENRE : Drame AVEC : Mélanie Thierry, Bastien Bouillon, Jacques Gamblin DURÉE : 1h 55min DISTRIBUTEUR : StudioCanal SORTIE LE 10 septembre 2025