En première ligne : de garde avec une infirmière

À chaque nouveau film ou nouvelle série sur le monde hospitalier, on se demande : aura-t-il un impact populaire assez puissant pour faire bouger les politiques publiques ? Modifier nos priorités et notre regard sur ces professionnels ? L’art a-t-il ce pouvoir transformateur ? En France, on pense à la puissante trilogie de Thomas Lilti (Hippocrate, Médecin de campagne, Première année, entre 2014 et 2018) ou à l’excellent documentaire de Nicolas Philibert, De chaque instant (2018). La crise sanitaire du Covid-19, les confinements et les applaudissements nourris ont eu beau passer par-là, le film germano-suisse de Petra Biondina Volpe le rappelle en carton de fin : il manquera, en 2030 selon l’OMS, 13 millions d’infirmières et d’infirmiers dans le monde, ces héros “En première ligne” (puisque c’est le titre francisé de son œuvre). Ils et elles sont épuisés et jettent la blouse. Pour leur rendre hommage, la réalisatrice signe un film plutôt efficace, à la fois doux et corrosif, où l’on embarque dans le quotidien d’une de ces héroïnes. 

C’est une journée de garde (presque) comme les autres. Floria, infirmière dévouée, fait face au rythme implacable d’un service hospitalier en sous-effectif. En dépit du manque de moyens, elle tente d’apporter humanité et chaleur à chacun de ses patients. Mais au fil des heures, les demandes se font de plus en plus pressantes, et malgré son professionnalisme, la situation lui échappe peu à peu. 

L’on se lasse un peu d’une caméra trop sage, qui semble hésiter à nous montrer les détails les plus crus, le sang et les fluides au plus près, les odeurs qui prennent à la gorge.

À quelques minutes près, En première ligne est un film à l’unité de lieu unique : nous voilà bloqués à cet étage étriqué, dans ce service hospitalier dans lequel évolue Floria, ses collègues et ses (trop) nombreux patients. En guise d’ouverture au générique, comme une prémonition, défile sous nos yeux des dizaines de blouses bleues, dans ce qu’on devine être le grand pressing du ventre de cet établissement. Les blouses couleur azur se suivent, trimballées les unes contre les autres, sans identité propre, bousculées, acheminées, prêtes à être employées et réutilisées jusqu’à l’usure et au remplacement.  

De Floria, on ne sait ainsi pas grand-chose de sa vie personnelle, à part sa récente rupture que l’on apprend au travers d’une question d’une patiente et un appel à sa fille lors du dîner vers 18h30. On ne sait pas ce qui attend réellement cette femme à l’extérieur de cet univers blanc, à part les trajets pénibles dans ce bus qui la mènent vers puis loin de son lieu de travail. Un monde entier, clos, et à la fois envahissant pour Floria, palpite entre ces murs, dans cet hôpital qui pourrait être n’importe quel autre hôpital de Suisse, d’Europe ou d’ailleurs. Des services surchargés, pas assez d’effectif et de moyens, un manque de reconnaissance de la patientèle et de certains médecins : la musique semble éculée. Floria est infirmière avant tout, incarnant toutes les autres et tous les autres, avec leurs qualités et leurs faiblesses humaines. 

Pour rendre sa fiction réelle, Petra Biondina Volpe choisit le style documentaire, sa caméra mobile ne lâchant pas une seconde Floria. Mais l’on se lasse un peu d’une caméra trop sage, qui semble hésiter à nous montrer les détails les plus crus, le sang et les fluides au plus près, les odeurs qui prennent à la gorge.

Tout d’abord ange comme tombée du ciel, calme avec les demandes incessantes, “douée” dans son travail, pédagogue avec la stagiaire du service, le personnage de Floria évolue et se craquelle au fil des heures de cette garde qui s’étire sans fin. L’engrenage de la perte de contrôle se met doucement en place, dans un rythme parfois un peu forcé : chariot qu’il faut remplir, plainte, appels et demandes d’un autre service, lumières rouges des chambres qui s’impatientent, brancards à déplacer, clés du placard à médicaments à récupérer, perfusion, lumière rouge, lumière rouge…  Même les toutes nouvelles baskets blanches de Floria, achetées en soldes évidemment, sortiront abîmées et tâchées de terre de cette journée de garde où la bascule ne semble jamais loin. 

Incarnant cette professionnelle, Leonie Benesch est parfaite, du calme à la tempête, de la berceuse chantée à une patiente atteinte d’Alzheimer aux fous rires dramatiques avec sa collègue après une altercation avec ce que sa patientèle fait de pire : cet homme venu d’une clinique privée qui la chronomètre avec sa “montre à 40 000 francs suisses” (environ 42 000 euros). Dans l’hôpital de Petra Volpe, toutes les femmes et tous les hommes se côtoient, pétris de peurs ou de douleurs, bons ou mauvais : les cancéreux, ceux qui attendent le diagnostic, ceux qui reviennent à la vie… Mais la mort semble partout rôder et c’est elle, peut-être plus que tout le reste, que Floria n’arrive plus à supporter. 

Finalement assez vu dans sa forme et dans le joli personnage de son scénario, En première ligne s’impose davantage comme une bonne piqûre de rappel plus que comme le traitement cinématographique miraculeux de nos systèmes de santé en déliquescence. L’ordonnance ne peut donc pas faire de mal, mais elle n’est pas obligatoire.

3.5

RÉALISATRICE : Petra Biondina Volpe
NATIONALITÉ :  Germano-suisse
GENRE : Drame
AVEC : Leonie Benesch, Sonja Riesen, Selma Adin
DURÉE : 1h 32min
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch Distribution
SORTIE LE LE 27 août 2025