C’est le premier long-métrage au cinéma de sa réalisatrice, couronné du Grand Prix du jury et du prix de la Révélation au Festival du film de Deauville et du Grand Prix du jury et de la meilleure réalisation au Festival du film de Sundance. Beau pedigree pour un premier film qui le mérite tant le ton est juste et la réalisation soignée jusque dans ses moindres détails. Vicente est le père – séparé de son épouse – de deux petites filles prénommées Eva – la cadette – et Violetta – l’aînée – dont il a la garde chaque été. Le film se divise ainsi en quatre parties, dont chacune correspond à un été passé, de leur âge de fillette à celui de jeune femme, avec leur père au Nouveau-Mexique dans la ville de Las Cruces, à la population à majorité latino – ainsi, le personnage du père est d’origine portoricaine comme l’acteur qui le joue. C’est bien à la croisée des chemins que se situe l’intrigue, l’histoire exclusive d’une relation entre un père et ses enfants et ses modifications au fil du temps – cheminement psychologique divergent emprunté par les personnages.
En effet, les différentes parties du film sont délimitées par une ellipse temporelle qui nous masque ce qui s’est déroulé entre chaque épisode – été – se focalisant sur les relations internes du trio de personnages. Nous les voyons ainsi peu à peu progresser physiquement et psychologiquement – de l’état d’innocence inhérent à l’enfance jusqu’à l’initiation au sexe, joyeuse ou décevante – au fur et à mesure qu’un sentiment de mélancolie de plus en plus tenace se fait sentir souligné par une bande-son atmosphérique au rythme lancinant. C’est à une division dichotomique que nous assistons entre continuité et rupture s’entrelaçant tout au long du film. Ainsi, l’orientation sexuelle de Violeta est-elle déjà posée au premier épisode où elle se fait couper les cheveux courts par sa sœur pour finir par ressembler à un garçon avant de rencontrer l’élève de son père Camila, avec laquelle elle commence par sympathiser, jusqu’au dernier épisode où la relation est consommée. Vicente, quant à lui, fait tout pour égayer le séjour de ses filles, jouant le rôle d’initiateur parfois immoral, qu’il s’agisse de les accompagner jusqu’en haut d’une colline pour contempler le ciel étoilé ou le lever du jour sur la plaine montagneuse, ou de fumer son premier joint. Lui-même entretient pendant toute la durée du film une addiction à l’alcool et aux stupéfiants qui le rend parfois agressif.
Le passage du temps et ses ravages sur l’humanité, allié au tempérament solaire des deux jeunes filles qui font malgré tout du film une œuvre optimiste, ont rarement été montrés avec autant de finesse et de subtilité au cinéma.
Homme plein d’amour et de tendresse pour ses filles, mais parfois gauche et maladroit, de plus en plus réduit au rôle de simple spectateur – ses filles grandissant, elles deviennent de plus en plus autonomes – relégué à la marge, sa fragilité est palpable et son statut de père cabossé par la vie le rend touchant pour le spectateur. Une scène symbolique marque cette distance qui se crée au fur et à mesure du temps entre lui et ses filles lorsque Eva gagne une partie de billard contre son père qui, désemparé, ne peut que constater que son rôle de héros pour sa fille en prend un coup. Mais on voit – avec quelle délicatesse le jeu des deux jeunes actrices le montre – que ses filles ne veulent pas le froisser ou lui faire comprendre qu’il est quelque peu tombé de son piédestal pour elles. Le passage du temps et ses ravages sur l’humanité, allié au tempérament solaire des deux jeunes filles qui font malgré tout du film une œuvre optimiste, ont rarement été montré avec autant de finesse et de subtilité au cinéma.
Fuite en avant à laquelle la façon de filmer les lieux contribue largement. La topographie est le vecteur d’une progression temporelle continue qui va vers le vide et le détachement – la piscine se vide, les filles louent un appartement pour venir voir leur père et ne font ainsi plus que passer à son domicile – tandis que subsiste malgré tout le lien affectif qui unit les personnages – sur le mur symboliquement caché de la garde-robe sont affichés les dessins des deux jeunes femmes lorsqu’elles étaient enfants. Mais rupture aussi de l’accident qui scinde comme en deux parties le film avec le lot de conséquences qui s’ensuit – la confiance des filles envers leur père en prend dès lors un coup sans parler du fait que Violetta en reste marquée physiquement – marque indélébile aussi bien du temps sur l’esprit. N’y manque pas le point de vue féminin de Carmen, barmaid du restaurant où Vicente et ses filles se rendent pour boire et jouer au billard, véritable mère de substitution ou grande sœur des deux filles à qui elles peuvent confier leurs peines et leur désarroi en toute confiance. Evolution dans le temps de trois personnages aux relations complexes liées aux évènements d’une vie quotidienne et de son impact scrutés avec minutie jusque dans ses moindres détails, dont le ton mélancolique qui en ressort n’a d’égal que le rayonnement narquois du soleil radieux du Nouveau-Mexique. Un film somptueux et une prestation impeccable des acteurs en général.
RÉALISATEUR : Alessandra Lacorazza NATIONALITÉ : Etats-Unis GENRE : Drame AVEC : René "Residente" Perez Joglar, Sasha Calle, Lio Mehiel DURÉE : 1h35 DISTRIBUTEUR : Wayna Pitch SORTIE LE 9 juillet 2025