En tant que premier film, Vaurien avait attiré l’attention sur son auteur Peter Dourountzis. En effet, le parti pris d’adopter le point de vue d’un serial-killer, aussi choquant, voire immoral soit-il, a eu pour conséquence de marquer fortement les esprits. Peu de cinéastes s’aventurent sur des terrains aussi fangeux et risqués, hormis Phillipe Grandrieux dans Sombre. Bien que maladroit par moments, Vaurien faisait preuve d’une véracité documentaire assez rare et d’un sens du quotidien et de la justesse dans la direction d’acteurs. Décidément fasciné par le Mal et les étranges dédales tortueux qui peuvent y mener, Peter Dourountzis consacre son deuxième film à l’élucidation d’une affaire de féminicides. Mais cette fois-ci, il adopte le point de vue d’un journaliste père de famille et de sa fille adolescente et potentielle victime, ce qui rend son film moins provocateur et choquant, et se rapprochant davantage d’un processus identificatoire.
Samuel, journaliste, et Ava, sa fille et stagiaire, couvrent pour leur magazine le meurtre d’une jeune fille attaquée à l’acide. Frappé par la brutalité de ce meurtre, ainsi que par l’intérêt de sa fille pour l’affaire, Samuel décide de mener une enquête indépendante, à l’insu de sa rédaction, et découvre des similitudes troublantes avec le meurtre d’une autre femme…
Lorsqu’il resserre son regard sur la relation père-fille, en la propulsant dans une intrigue de féminicide particulièrement sensible, Dourountzis emporte largement la mise.
Le thème du féminicide est aujourd’hui prégnant dans notre société contemporaine. Les temps ont bien changé depuis l’époque où Bertrand Cantat se voyait quasiment érigé en victime d’un fait divers tragique alors que le terme de féminicide n’existait pas. Sans qu’on y pense le plus souvent, David Lynch a sans doute réalisé le premier film marquant sur un féminicide, Lost Highway, en s’inspirant de l’affaire O.J. Simpson. En France, c’est Dominik Moll qui a réalisé le film classique sur la question, avec La Nuit du 12, couronné de sept César, dont celui du premier film.
La perspective de Peter Dourountzis est moins ambitieuse. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’analyser ce qui peut « clocher entre les femmes et les hommes », mais de traiter une affaire criminelle, comme il en existe tant d’autres. En jetant son regard sur la rédaction d’un magazine consacré à des faits divers, ‘Les Nouveaux détectives », il a choisi de modifier son angle de perception, au lieu de s’en tenir aux perpétuels services de police. L’idée est louable mais, en dépit des acteurs impeccables (Darrousin, Donzelli, Crépon, Bescond), on peut considérer que Dourountzis s’égare quelque peu dans ses intrigues parallèles.
En revanche, lorsqu’il resserre son regard sur la relation père-fille, en la propulsant dans une intrigue de féminicide particulièrement sensible, Dourountzis emporte largement la mise. Sami Bouajila, excellent comme à son habitude, et Mallory Wanecque, révélée par Les Pires et L’Amour ouf, imposant une présence charnelle incontestable, donnent vie à cette relation complice. Le tout culmine dans une séquence époustouflante de tension, de 20 à 30 minutes, dans un bar-restaurant routier, où le duo père-fille se trouve coincé, entouré de masculinistes mal intentionnés.
Cette séquence de pure mise en scène, d’un suspense insoutenable, montre tout le talent de Dourountzis pour créer du cinéma à partir de quelques éléments simples : unité de lieu, de temps et d’action, et deux personnages coincés au milieu de nulle part. Rapaces possède donc en son sein une séquence d’anthologie qui cueillera tout spectateur qui s’est déjà retrouvé dans une situation inextricable de piège. Certes le film n’apprendra peut-être grand’chose sur les motivations profondes des masculinistes qui défigurent leurs victimes en leur jetant de l’acide au visage. Néanmoins, au coeur de l’été, reconnaître au détour d’un plan une vraie séquence de pur cinéma, cela fait toujours du bien.
RÉALISATEUR : Peter Dourountzis NATIONALITÉ : française GENRE : policier AVEC : Sami Bouajila, Mallory Wanecque, Valérie Donzelli, Jean-Pierre Darroussin, Stéfan Crépon, Andréa Bescond DURÉE : 1h44 DISTRIBUTEUR : Zinc film SORTIE LE 2 juillet 2025