Résurrection était probablement l’une des grandes attentes de cette 78e édition du Festival de Cannes. Après Kaili Blues (récompensé à Locarno et d’une Montgolfière d’or au Festival des Trois Continents en 2015) et Un Grand voyage vers la nuit (sélectionné dans la section Un Certain Regard à Cannes en 2018), Bi Gan propose un troisième long métrage-fleuve dont les premières images disponibles avant l’ouverture des festivités donnaient furieusement envie. Son annonce très tardive en compétition (le 8 mai, soit près d’un mois après la conférence de presse traditionnelle) plaidait aussi en faveur d’un film dont il se murmurait qu’il n’était pas tout à fait prêt et qu’il était en attente de visa de sortie de Chine (rappelant l’aventure de 2046 de Wong Kar Wai, pas tout à fait terminé lors de la projection). La découverte dans la salle du Grand Théâtre Lumière fut l’un des grands moments de cette année.
La découverte dans la salle du Grand Théâtre Lumière fut l’un des grands moments de cette année.
Dans un monde où les humains ne savent plus rêver, un être pas comme les autres perd pied et n’arrive plus à distinguer l’illusion de la réalité. Seule une femme voit clair en lui. Elle parvient à pénétrer ses rêves, en quête de la vérité…
Les premiers moments du film envoûtent quasi instantanément : pour celles et ceux qui en auront accepté les « conditions », le voyage que propose Bi Gan sera d’une grande beauté formelle, un appel aux sens ainsi qu’une célébration de l’imaginaire. Une odyssée d’une richesse inouïe, en plusieurs tableaux, une dystopie sur fond de fin du monde mettant en scène une société autoritaire (pour ne pas dire totalitaire) dans laquelle les gens ne savent plus rêver. Quelques individus, les « Rêvoleurs » (« fantasmers » dans la traduction anglaise), se réfugient dans les rêves et se retrouvent pourchassés par une police des rêves (dont le but avoué est de les réveiller pour assurer la bonne linéarité du temps). C’est le parcours de l’un d’entre eux que nous propose de suivre Bi Gan. Une errance protéiforme à travers l’histoire du cinéma, chacun des six segments qui constituent l’ossature de Résurrection évoquant clairement une période précise, citant littéralement des films comme autant de clés (citons notamment La Dame de Shanghai d’Orson Welles lors de la scène de la fusillade au milieu de dizaines de miroirs) tout en étant rattaché à un sens, la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher. Ce qui séduit d’emblée c’est cet amour du cinéma, cette célébration de la magie du cinéma par la convocation de personnages ou de temps forts cinématographiques bien ancrés dans notre imaginaire de cinéphile : le vampire et son apparition tout en ombre, référence au Nosferatu de Carl Theodor Dreyer ; l’expressionnisme allemand ; les premiers temps du 7e Art, avec le muet (c’est d’ailleurs l’objet du premier segment du film), les figures tutélaires que sont les Frères Lumière (dont des extraits de courts métrages apparaissent à l’écran, L’arroseur arrosé pour n’en citer qu’un) et Georges Méliès auquel on pense forcément.
Une errance protéiforme à travers l’histoire du cinéma, chacun des six segments qui constituent l’ossature de Résurrection évoquant clairement une période précise, citant littéralement des films comme autant de clés
La mise en scène de Bi Gan, déjà formidable dans ses œuvres précédentes, est un modèle du genre, d’une inventivité presque sans aucune limite (jusqu’où peut-il réellement aller ?), une réelle prouesse technique à l’image d’un plan-séquence de plus de vingt minutes sur une image saturée de couleur rouge qui voit un jeune homme et une jeune femme (qui lui avouera un peu plus tard être un vampire) se balader, se séduire dans les dédales d’une ville déserte et saisie hors du temps, exploitant à merveille chaque recoin pour y positionner sa caméra. Cette déambulation des deux amants jusqu’au petit matin possède un charme fou et un côté poétique indéniable.
Résurrection est un voyage au bout du rêve, un véritable poème visuel, qui brouille la perception de l’espace et du temps, et met le spectateur sous hypnose.
Résurrection est un voyage au bout du rêve, un véritable poème visuel, qui brouille la perception de l’espace et du temps, et met le spectateur sous hypnose. Il constitue un plaisir de chaque instant, ne cédant jamais à la facilité (l’œuvre reste exigeante, il faut le souligner, et devrait donc perdre plus d’un spectateur) mais provoque un sentiment assez unique : la sensation, étrange mais à la fois rassurante, de ne jamais vouloir sortir de ce rêve, de vouloir prolonger l’immersion totale. L’épilogue « à la bougie », sublime instant célébrant la magie du 7e Art, se permet même d’évoquer l’importance de la salle de cinéma, et sa possible disparition.
RÉALISATEUR : Bi Gan NATIONALITÉ : Chine, France GENRE : Trip de Science-fiction AVEC : Jackson Yee, Shu Qi, Mark Chao DURÉE : 2h30 DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE indéterminée