Les Aigles de la République : l’acteur au service du pouvoir

Réalisé par le cinéaste suédois d’origine égyptienne (par son père) Tarik Saleh, Les Aigles de la République est le troisième et dernier volet de la trilogie du Caire, après Le Caire Confidentiel (2017) et La Conspiration du Caire, déjà présenté sur la Croisette en 2022 et reparti avec le prix du scénario.

George Fahmy, l’acteur le plus adulé d’Egypte, accepte sous la contrainte de jouer dans un film commandé par les plus hautes autorités du pays. Il se retrouve plongé dans le cercle étroit du pouvoir. Comme un papillon de nuit attiré par la lumière, il entame une liaison avec la mystérieuse épouse du général qui supervise le film.

Le cinéaste évoque avec pertinence l’utilisation à des fins de propagande des artistes par les autorités en place

Poursuivant son exploration du pouvoir et de ses secrets, de la corruption et des libertés supprimées, Tarik Saleh met en scène dans Les Aigles de la République un complot politique visant à renverser l’actuel président égyptien, le général al-Sissi, avec l’intervention (malgré lui) d’un comédien populaire. Sur un scénario bien écrit et solide, qui n’est pas sans rappeler les fictions américaines des années 70 (on peut ainsi penser aux Hommes du président d’Alan J. Pakula par exemple), le cinéaste évoque avec pertinence l’utilisation à des fins de propagande des artistes par les autorités en place (la collaboration n’a d’autre but que de glorifier l’État), ce qui a été une constante dans la plupart des régimes autoritaires ou totalitaires. Une comparaison qui semble renforcée par le style visuel de ces Aigles de la République, comme le souligne le générique du début constitué d’affiches évoquant l’âge d’or du cinéma égyptien auquel Tarik Saleh entend également rendre un hommage évident.

Dès les premières scènes, le recours à la comédie surprend (un registre absent du long métrage précédent de Saleh). Toute la première partie fait la part belle à l’humour noir, comme lors du tournage du film de propagande à la gloire du président actuel qu’il a accepté de tourner (sous la menace) ou lors de la séquence dans une pharmacie où l’acteur, essayant de passer incognito, demande du viagra avec une conséquence pour le moins gênante (sa jeune compagne qui remarque son érection alors qu’elle lui raconte ses malheurs). A ce titre, la qualité de la prestation de l’acteur libanais Fares Fares est à souligner, celui-ci se glissant parfaitement dans la peau de cette vedette célèbre, charmeur (allant jusqu’à séduire la femme d’un membre du gouvernement) mais aussi menteur, qui s’occupe assez peu de son aîné et qui peut passer aisément du loufoque à la gravité, voire de la peur. Un personnage qui s’oppose en tous points à celui du Dr Mansour, conseiller politique, figure de l’autorité morale qui surveille de près le tournage, n’hésitant pas à intervenir pour rectifier certaines choses.

Le cinéaste se moque donc du pouvoir, ce que démontre la description des généraux qui gravitent dans les cercles du pouvoir

Le cinéaste se moque donc du pouvoir, ce que démontre la description des généraux qui gravitent dans les cercles du pouvoir ; une scène assez drôle voit s’opposer la femme du ministre et un conseiller affirmant que Shakespeare serait d’origine arabe, le réalisateur donnant le beau rôle aux femmes, lectrices et cultivées. Toutefois, plus la machination se met en place, plus la comédie se met en sourdine. Le film bascule alors dans une atmosphère plus tendue, plus grave, celle du thriller politique paranoïaque révélant enfin le but ultime de l’opération. Fini de sourire, ce qui est en jeu est bien plus sérieux. Servies par une mise en scène au cordeau quoiqu’un peu classique et trop sage (d’aucuns diraient académique et sans relief), certains moments glacent le sang, tout en laissant aux spectateurs une impression de déjà-vu. Il faut d’ailleurs admettre que La Conspiration du Caire était porté par un élan plus fort et une mise en scène nettement plus emballante. Cependant, ces quelques réserves n’entament pas le plaisir ressenti devant ce film recommandable et qui conserve intact sa force de frappe politique.

3.5

RÉALISATEUR : Tarik Saleh
NATIONALITÉ : France, Suède, Danemark, Finlande, Allemagne
GENRE : Drame, Thriller
AVEC : Fares Fares, Zineb Triki, Lyna Khoudri
DURÉE : 2h09
DISTRIBUTEUR : Memento 
SORTIE LE 22 octobre 2025