Urchin : un prolongement sombre du canon narratif britannique

Urchin marque les débuts à la réalisation de l’acteur britannique Harris Dickinson, dont la percée professionnelle en tant que comédien avait elle aussi commencé à Cannes. Trois ans auparavant, il tenait le rôle principal dans Sans filtre (Triangle of Sadness) de Ruben Östlund, Palme d’or 2022. En 2025, il revient sur la Croisette avec sa première réalisation, sélectionnée dans la section Un Certain Regard, vitrine prestigieuse des nouvelles voix du cinéma.

Le titre fait référence au terme anglais «urchin», qui désigne un enfant des rues, souvent espiègle, mal habillé, issu des marges sociales. Ce mot suranné, que l’on retrouve dans la littérature victorienne (Oliver Twist en tête), évoque un imaginaire d’enfants abandonnés mais parfois sauvés in extremis. Or, Urchin déconstruit radicalement ce mythe. Mike, son protagoniste, ne connaît ni salut, ni miracle familial. On le découvre lorsqu’il abuse de la gentillesse d’un inconnu, le vole puis le frappe violemment. Placé en détention, il en ressort sous la tutelle des services sociaux britanniques, qui lui offrent une nouvelle chance. Pourtant, malgré l’aide généreuse et encadrée qu’il reçoit, Mike replonge. Errant à nouveau dans la rue, il se dirige vers une fin hallucinée, figurée par un voyage psychédélique où, replié sur lui-même en position fœtale, il s’abîme dans un néant sans retour.

La photographie et le montage, parfois spectaculaires, flirtent avec une esthétique quasi romanesque de la misère. Mais les accès de violence de Mike et la perte progressive de contrôle de sa psyché rappellent constamment au spectateur que cette réalité n’a rien d’enviable.

Si le récit semble concentré sur un seul personnage, sa portée est bien plus large : Urchin pose un regard désabusé sur la crise familiale contemporaine. Une mystérieuse femme, que l’on devine être la mère de Mike, n’apparaît que lors de séquences oniriques, sans jamais établir de lien tangible avec lui. Tous les personnages sont d’ailleurs représentés comme profondément seuls, et les tentatives de créer des relations — affectives, amicales ou sociales — se soldent par l’échec, voire la toxicité. La solitude dénoncée ici ne semble pas provenir de la nature des individus, mais plutôt d’un abandon structurel, d’un vide familial originel que même les meilleurs dispositifs sociaux ne parviennent à combler.

La mise en scène de cette déchéance est à la fois brutale et étonnamment maîtrisée. La photographie et le montage, parfois spectaculaires, flirtent avec une esthétique quasi romantique de la misère. Mais les accès de violence de Mike et la perte progressive de contrôle de sa psyché rappellent constamment au spectateur que cette réalité n’a rien d’enviable. Là où la littérature anglaise traditionnelle offrait souvent à ses orphelins des figures tutélaires de substitution ou un dénouement salvateur, Urchin rompt avec ce schéma. Volontairement ou non, Harris Dickinson dynamite l’héritage dickensien pour poser un regard cru sur une société où l’on naît et meurt seul, abandonné par les siens et peu soutenu, malgré les bonnes intentions.

Techniquement irréprochable, Urchin ne ressemble en rien à un premier film maladroit. Au contraire, il s’inscrit comme une variation sombre et contemporaine du canon narratif britannique. Inspiré, selon Dickinson, de son engagement personnel dans des actions de bénévolat auprès de jeunes marginalisés, le film tire de cette expérience une force de vérité amère. Cette proximité avec la réalité ajoute encore à la tonalité désespérée de l’œuvre, faisant de Urchin un cri étouffé mais puissant sur les laissés-pour-compte d’aujourd’hui.

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RÉALISATEUR : Harris Dickinson
NATIONALITÉ : Grande-Bretagne
GENRE : Comédie, Drame
AVEC : Frank Dillane, Megan Northam, Karyna Khymchuk
DURÉE :  1h 39min 
DISTRIBUTEUR : Ad Vitam
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