Sound of Falling : une narration semblable à une maison abritant des vies féminines

Le Festival de Cannes de cette année se distingue par un nombre record de réalisatrices en compétition (sept comme en 2023), et Sound of Falling, deuxième long-métrage de l’Allemande Mascha Schilinski, en est un des exemples les plus mérités. Fidèle aux thèmes déjà esquissés dans son premier film, la cinéaste leur donne ici une ampleur nouvelle dans une production plus ambitieuse et complexe. En plus de cela, Sound of Falling offre un spectacle visuel énigmatique, où, à travers des récits en spirale, transparaît l’ombre d’un grand récit collectif.

Mais ce récit n’est pas aisé à appréhender, car le film ne s’articule pas tant autour d’un personnage que d’un lieu: une maison en particulier, une ferme à quatre ailes située en Allemagne, dont les habitantes changent au fil du temps, tout en se ressemblant étrangement. Au centre de l’intrigue, quatre jeunes filles ayant vécu à différentes époques — de la veille de la Première Guerre mondiale aux années 1970. Chaque période imprime sa marque contextuelle, mais curieusement, les drames et les choix des jeunes femmes suivent une trajectoire similaire.

Sound of Falling ne propose pas une expérience cinématographique classique fondée sur une intrigue linéaire, mais bien un spectacle hypnotique, minutieusement mis en scène, qui expérimente une nouvelle forme de narration

Selon la «carrier bag theory» d’Ursula K. Le Guin, les récits héroïques sont traditionnellement associés aux figures masculines, tandis que les narrations authentiquement féminines prennent la forme d’un sac, d’un ventre, d’une boîte, ou, de manière significative ici, d’une maison. Si vous êtes prêt à vivre une expérience cinématographique réellement non conventionnelle — à ne pas suivre un récit linéaire centré sur un héros, mais plutôt une mosaïque de personnages et de fragments de vies — alors ce film saura vous séduire. Ajoutez à cela une imagerie magistrale, une esthétique très travaillée et une bande-son d’exception, et vous aurez un aperçu des atouts majeurs de Sound of Falling.

Cependant, cette narration scintillante a un prix: qu’on tente de suivre les fils narratifs qui se dissolvent ou qu’on se laisse simplement happer par cette étrange maison comme par un univers autonome, l’impression générale reste floue, comme une vieille photo qui réapparaît de temps à autre à l’écran. Aussi esthétique soit-il, le film semble vouloir trop en montrer. Sur 2h29, les époques, les personnages et leurs accessoires défilent à une vitesse parfois imperceptible, au point que le spectateur peut rapidement se sentir dépassé.

Finalement, ce qui résiste le mieux à l’épreuve du temps dans Sound of Falling, c’est la maison elle-même, autour de laquelle tous les récits se déroulent. Et c’est peut-être là la clé de lecture principale du film: les répétitions dans les vies humaines seraient dues à ce lieu, à ce lien invisible — mais tenace — avec la maison (ou la patrie, si l’on accepte d’y lire une métaphore de l’Allemagne elle-même). Ainsi, Sound of Falling ne propose pas une expérience cinématographique classique fondée sur une intrigue linéaire, mais bien un spectacle hypnotique, minutieusement mis en scène, qui expérimente une nouvelle forme de narration. Une tentative brillante, qu’on espère pourtant ne pas être la dernière — tant il est clair que la réalisatrice a encore beaucoup à offrir.

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RÉALISATEUR : Mascha Schilinski
NATIONALITÉ :   Allemagne
GENRE : Drame
AVEC : Hanna Heckt, Lena Urzendowsky, Laeni Geiseler
DURÉE : 2h 29min
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
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