Depuis Un monde, son remarqué premier long, Laura Wandel a fait du huis clos social son terrain d’étude. L’école, hier. L’hôpital, aujourd’hui. Même durée resserrée (1h13), même focalisation extrême sur un personnage que l’on suit à la nuque. Le système Wandel repose sur cette immersion physique, presque tactile, dans les lieux de pouvoir affectif, les institutions. L’enjeu, comme chez les Dardenne (producteurs du film), est de faire sentir sans dire – quoique – d’observer sans jamais théoriser. Le film a ouvert la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2025.
Dans L’Intérêt d’Adam, on suit Lucy (Léa Drucker), infirmière en chef d’un service pédiatrique, au cours d’une nuit où elle prend la responsabilité — en contravention avec une décision judiciaire — de laisser la mère d’un petit garçon hospitalisé pour malnutrition rester à son chevet. Dès lors, le film installe une triple ligne de front : entre l’enfant et sa survie, entre la mère et la loi, entre Lucy et sa fonction. Ce sont ces frottements, ténus mais constants, que le film s’emploie à faire sentir. L’intérêt d’Adam, comme le titre l’annonce, devient très vite une affaire d’adultes. Et le soin, ici, ne passe pas seulement par les gestes médicaux, mais par la gestion d’un lien : il faut obtenir la confiance de la mère pour sauver l’enfant. Lucy le comprend d’instinct. Chaque plan en atteste : l’enfant est placé au cœur d’un triangle entre deux femmes qui cherchent à le protéger, souvent à son chevet, physiquement de part et d’autre du cadre, comme deux pôles aimantés.
À force de serrer son sujet jusqu’à l’étouffer, le film finit par perdre ce qu’il voulait sauver : une vibration, une justesse, une humanité.
Là où le film devient trouble, c’est dans sa capacité à amalgamer le destin de ces deux femmes. Elles s’affrontent, se toisent, se cherchent. L’une, épuisée, culpabilisée, blessée. L’autre, investie au-delà du raisonnable. Car le film ne glorifie pas l’engagement de Lucy. À plusieurs reprises, ses collègues la rappellent à l’ordre : « Préserve toi Lucy. » Mais Lucy insiste, agit, prend sur elle. C’est ce qu’oblige l’institution à ses soignants. On comprend peu à peu que son implication déborde son cadre professionnel : elle aussi est mère. Est-ce la raison pour laquelle elle dépasse sa fonction ? Deux personnages féminins qui décident de s’affranchir pour porter à elles seules, le cœur haut, l’amour brandie en défense, quitte à maltraiter, la charge d’une mission maternelle. Deux femmes seules, aimantes, intrusives. Deux femmes qui ne savent plus ce qu’elles ont le droit de porter, dans un vacillement moral sans résolution.
Mais le système Wandel atteint rapidement ses limites. À force de tout enfermer dans une nuit, dans un lieu, dans un dos, le film peine à respirer. Le spectateur est condamné à suivre Léa Drucker. L’immersion est un enfermement. Unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Boileau est ravi. Mais les causes sont effacées au profit du seul symptôme. Le film ne manque pas de compassion, mais d’articulation. Tout fait drame – et c’est peut-être là le vrai drame du film. Dans L’Intérêt d’Adam, Laura Wandel tire chaque plan, chaque souffle, chaque silence vers une gravité extrême, jusqu’à faire disparaître tout ce qui pourrait nuancer, infléchir, surprendre. La vie, dans ce huis clos hospitalier, manque cruellement de couleurs, de nuances. Le monde, ici, est entièrement lisse — ou plutôt entièrement tendu.
En présentation de séance, Laura Wandel se disait « atterrée par les institutions. » Comme ses héroïnes, elle semble prise d’une émotion brute, fabriquant L’Intérêt d’Adam avec le cœur chaud, mais l’œil flou. Obligatoirement, on pense à État Limite de Nicolas Peduzzi, qui explorait lui aussi un lieu de soin sous pression, mais avec une double focale : à la fois dans et hors le système, avec les interrogations existentielles du psychiatre Jamal Abdel Kader, à la fois charnel et analytique. Ici, on reste dedans, tout le temps. Et à force d’être à l’intérieur, on finit par ne plus rien voir, par dégager peu de chose. À force de serrer son sujet jusqu’à l’étouffer, le film finit par perdre ce qu’il voulait sauver : une vibration, une justesse, une humanité.
RÉALISATRICE : Laura Wandel NATIONALITÉ : Belge GENRE : Drame AVEC : Léa Drucker, Anamaria Vartolomei, Alex Descas DURÉE : 1h13 DISTRIBUTEUR : Memento distribution SORTIE LE 1er octobre 2025