Fatima Hassouna (en haut) en conversation avec Sepideh Farsi (en bas) dans Put Your Soul on Your Hand and Walk.

Put Your Soul on Your Hand and Walk : une plongée dans l’horreur banalisée d’un génocide

Le 15 avril dernier, l’ACID annonçait la sélection au Festival de Cannes 2025 du nouveau documentaire de Sepideh Farsi, sur le quotidien chaotique des gazaouis, à travers ses échanges avec la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna. Un symbole fort (amener le sujet du génocide palestinien sur la Croisette), obscurci, au lendemain, par l’annonce de l’assassinat de Fatima Hassouna et dix de ses proches dans un bombardement opéré par l’armée israélienne. La terrible nouvelle, ancrée dans une actualité de plus en plus difficile pour les populations de la bande de Gaza, a changé à jamais le sens du film, de l’aveu même de la réalisatrice iranienne. Présenté comme un condensé de conversations entre la cinéaste de 60 ans et la photographe de 25 ans, Put Your Soul on Your Hand and Walk revêt une dimension unique parmi les documentaires présentés à Cannes cette année, tant dans son approche indirecte d’un conflit actuel que dans son propos cru, tragique, mais nécessaire. 

« Ce film est une fenêtre, ouverte par le miracle d’une rencontre avec Fatem, qui m’a permis de voir des fragments du massacre en cours des Palestiniens. Fatem est devenue mes yeux à Gaza, et moi, un lien entre elle et le monde extérieur. Nous avons maintenu cette ligne de vie pendant presque un an. Les bouts de pixels et de sons échangés entre nous, sont devenus le film que voici. » – Sepideh Farsi

Plus que le sujet principal du film, Fatima Hassouna devient les yeux de Sepideh Farsi et lui documente quotidiennement la vie des habitants de Gaza.

Des rires, des larmes, des bruits d’avions et des volutes de fumée aperçues au loin : Put Your Soul on Your Hand and Walk nous amène à côtoyer l’horreur d’aussi près que la connexion Internet qui lie les deux femmes ne le permet. Pourtant, Sepideh Farsi parvient à insérer de l’ordinaire au milieu d’un drame en cours à travers des conversations banales, l’apparition d’un chat ou d’un membre de la famille de Fatima Hassouna devant l’écran, ce qui nous rappelle que la vie continue aussi hors champ, pour le meilleur et pour le pire. Les plans, filmés au téléphone portable, donnent au premier abord un aspect amateur au documentaire, mais permettent une immersion progressive dans le déroulé d’un massacre pour l’instant sans issue. À travers les yeux de la cinéaste, on ressent son sentiment d’impuissance face à un drame à la fois proche et lointain, dont on ne peut qu’être spectateur. De l’autre côté de l’écran, Fatima Hassouna est une actrice à part entière de ce qui se joue à Gaza et le décalage entre les informations insoutenables qu’elle rapporte et son optimisme ne rendent que plus terrible son quotidien à nos yeux, surtout lorsqu’on connaît l’issue inéluctable qui l’attend.

En tant que journaliste, il est particulièrement difficile de documenter le conflit en cours au sein des territoires palestiniens. D’après le bilan annuel de Reporters sans frontières, 18 reporters auraient été tués par l’armée israélienne en 2024. Dans ce contexte, Sepideh Farsi, documentariste de terrain, a dû adapter son approche en utilisant, à distance, tous les outils à sa disposition. Les appels quotidiens avec Fatima Hassouna constituent le coeur du film, mais sont accompagnés par des photos, prises par la jeune femme, des rues détruites des quartiers d’Al-Touffah ou de Rimal. Plus que le sujet principal du film, Fatima Hassouna devient les yeux de Sepideh Farsi et lui documente quotidiennement la vie des habitants de Gaza : les séjours dans les abris anti-aériens, la mort et la famine s’ancrent dans une réalité peu évoquée par les grands médias. On retrouve d’ailleurs plusieurs extraits de journaux télévisés évoquant l’avancée du conflit, mais avec toujours le même angle d’approche, le seul rendu possible : celui des responsables politiques, des militaires ou des organisations humanitaires, la parole des populations étant complètement occultée. 

Au fil de leurs échanges, les deux femmes tissent de plus en plus de liens. À travers leurs points communs (le journalisme et leurs envies d’évasion), une amitié sincère semble naître à l’écran et une compassion mutuelle se développe entre une jeune femme ne voulant pas abandonner son pays en guerre et une cinéaste plus âgée, empêchée de retourner en Iran, où vit toujours sa famille. Fatima Hassouna avait accepté de se rendre à Cannes pour présenter le film, et enfin rencontrer son amie depuis plus d’un an et demi. Sa disparition soudaine, incompréhensible, rappelle l’absurdité d’un massacre en cours dont Put Your Soul on Your Hand and Walk ne se veut plus le témoin distant mais la preuve concrète.

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RÉALISATEUR : Sepideh Farsi
NATIONALITÉ : France/Palestine/Iran
GENRE : Documentaire
AVEC : Fatima Hassouna
DURÉE : 1h50
DISTRIBUTEUR : New Story
SORTIE LE 24 septembre 2025