Après Rosa Luxembourg ou Hannah Arendt, la cinéaste allemande Margarethe von Trotta présentait au Festival de Berlin 2023 un nouveau film éponyme sur une femme aussi mythique que mystérieuse : la poétesse et autrice autrichienne Ingeborg Bachmann. Dans le film qui porte son nom (et auquel était initialement accolé le sous-titre Reise in die Wüste, “voyage dans le désert”), la cinéaste octogénaire raconte l’artiste par le biais de son amour douloureux avec un autre auteur, Max Frisch. L’occasion d’un film d’une belle force visuelle, mais qui manque un peu de piquant et nous laissera sur notre faim.
À trente ans, la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann est au sommet de sa carrière lorsqu’elle rencontre à Paris le célèbre dramaturge Max Frisch. La passion est immédiate et la jeune Ingeborg, esprit libre, décide pour la première fois de sa vie de se mettre en ménage. Mais leur quotidien à Zurich en Suisse ne la rend pas heureuse, et les tensions s’accumulent dans le couple.
L’on se surprend à regretter à maintes reprises que l’intensité ne monte d’un cran entre les deux amants, soudainement, pour nous sortir de cette jolie carte postale.
Inspiré de la véritable histoire amoureuse d’Ingeborg Bachmann, le film de Margarethe von Trotta est beaucoup plus une – simple – œuvre romantique qu’un biopic documenté et intense. Tout le sujet est dans le sous-titre : ce voyage quasi-initiatique dans le désert, pour se défaire de cet amour perdu… et de ses violences. La première scène d’Ingeborg Bachmann, sorte de cauchemar inquiétant et totalement à part dans les 111 minutes du film, nous laissait pourtant croire à une explosion théâtrale à venir, des larmes, des rires, de la fureur… Il n’en sera rien. Et l’on se surprend à regretter à maintes reprises que l’intensité ne monte d’un cran entre les deux amants, soudainement, pour nous sortir de cette jolie carte postale qui alterne entre leur vie vécue dans les grandes villes européennes (Paris, Zurich, Rome) et le présent rédempteur des dunes ensablées. Le souvenir de la jalousie de Max Frisch et ses mots blessants semblent presque inoffensifs, les quelques émotions sur le beau visage lisse de Vicky Krieps nous laissent de marbre, voire circonspects : la cinéaste Margarethe von Trotta, si rodée, a-t-elle vraiment recommandé cette direction d’acteur·trice ? En lieu et place pour exprimer la lassitude du couple, les énervements du quotidien avec cet autre qui n’est jamais réellement celui qu’on souhaiterait, ne persiste que le bruit insistant de la machine à écrire de Max, que Ingeborg nomme avec amertume… sa kalachnikov.
Heureusement, pour pimenter quelque peu les 1h51 de film, plusieurs jolies envolées lyriques sur les écrits de la poétesse ou sur sa conception des relations homme-femme (« premier lieu de formation du fascisme ») nous donnent envie de découvrir son travail et la philosophie de son oeuvre post-guerre, peu connue en France. Figure féministe avant l’heure, la liberté qu’embrasse Ingeborg trouve aussi un écho visuel dans les magnifiques robes qu’elle porte, toujours nouvelles et impecables, fleuries, satinées, laissant apercevoir les épaules et le dos de cette femme indépendante. Cigarette après cigarette (symboles puissants lorsque l’on connaît la mort tragique de la protagoniste, décédée des suites d’un incendie dans son appartement romain en 1973), de femme heureuse à profondément détruite, le retour à la vie de Ingeborg passera par une scène enfin un peu relevée, alors qu’elle reçoit dans sa chambre égyptienne trois jeunes hommes acquis à son corps.
C’est donc presque déçu que l’on ressort de la salle, face à un film d’amour passionné qui aurait pu nous embraser mais ne le fera jamais complètement.
RÉALISATEUR : Margarethe von Trotta NATIONALITÉ : Allemagne, Autriche, Suisse, Luxembourg GENRE : Biopic, drame AVEC : Vicky Krieps, Ronald Zehrfeld, Tobias Resch DURÉE : 1h51 DISTRIBUTEUR : Splendor Films SORTIE LE 7 mai 2025