Un vieil homme assis face à la mer, panama fedora blanc sur la tête, soudain fasciné par le corps d’une jeune personne qui s’offre ingénument à son regard… C’est avec ce clin d’œil azuréen (et largement assumé) à Mort à Venise de Visconti, que le duo belge Cattet-Forzani ouvre le bal de son quatrième long-métrage : Reflet dans un diamant mort. Mais il faut déjà reprendre son souffle et suivre le tempo des intentions des cinéastes : ce vieil homme (incarné par le magnétique Fabio Testi, 83 ans), n’est-il pas le sosie italien de Sean Connery, emblématique James Bond des années 1964 à 1971 (et dont la dernière apparition n’est autre que dans, tiens tiens, Les diamants sont éternels) ? Si vous avez déjà capté ça, et que vous êtes prêts à sauter à pieds joints dans une kaléidoscopique ode au 7ème art et à la culture des années 60-70, alors accrochez-vous à votre fauteuil, le meilleur est à venir dans ce petit diamant baroque d’à peine une heure trente.
Retraité reclus dans un luxueux et ennuyeux hôtel de la Côte d’Azur, un ancien espion est soudain rattrapé par son passé lorsque sa mystérieuse voisine de chambre disparaît. Ses souvenirs et démons refont surface, en particulier son échec contre son ennemi juré, la vénéneuse Serpentik, qu’il n’a jamais réussi à démasquer. Oscillant entre présent et passé, John D. remonte à rebours la bobine de sa vie secrète, comme si son passé pouvait l’aider à éclairer le présent. Ou à s’y perdre ?
Cattet, Forzani et leurs équipes manient un vocabulaire cinématographique qui impressionne dans les éclats de lumière, l’originalité des plans, les mises en scènes somptueuses
Du cinéma d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, poussé à son paroxysme dans ce film d’espionnage qui n’en est pas un, c’est bien l’expérience sensorielle complète que l’on retient avant tout. La construction fragmentée du récit en est l’écrin, aussi fragmentée que la mémoire de ce vieil homme (On pense à The Father de Florian Zeller, dans un registre totalement différent), aussi multiples et éblouissantes que les facettes d’un diamant. Les tressaillements d’un verre d’alcool orangé (non identifié) se superposent aux écumes gazeuses sur la peau de sa jeune voisine ; son piercing entraperçu devient une excuse pour se rappeler une scène d’amour lointaine, où la violence surprend comme un coup de pic à glace dans un cocktail raffiné. Une fois enclenchée sur cette plage, la machine à remonter dans le temps semble inarrêtable : tout se mêle, se superpose, de manière psychédélique, jusqu’à nous y perdre nous-mêmes, à de nombreuses reprises. On tente de refaire le fil de la vraie histoire de ce “héros”, sans cesse, qui nous échappe, se tend, se détend, se brise comme un miroir ou comme ces visages qui se décomposent soudainement au sol autour de lui. Il fallait une vraie virtuosité pour ne pas rendre le tout indigeste : Cattet, Forzani et leurs équipes manient un vocabulaire cinématographique qui impressionne dans les éclats de lumière, l’originalité des plans, les mises en scènes somptueuses, les superpositions de matières, le moindre son comme découpé juste pour lui-même… Pas de doute, Reflet dans un diamant mort modernise avec brio le Op art, référence culturelle appuyée par le duo de cinéastes lors de leurs nominations à la dernière Berlinale ainsi qu’au Festival du Film du Luxembourg.
A l’intérieur de cet écrin diamanté, sur du velours, le scénario de Reflet dans un diamant mort se permet encore de nous surprendre. On pourrait y voir un simple amalgame de parodies, mais l’intrigue et son dénouement font tout le sel (marin) de cette œuvre. Du film d’espionnage, clairement inspiré directement de la belle époque des James Bond, on aura plaisir à dénicher sans difficulté l’esthétique et la musicalité, ou encore les gadgets improbables qu’un Q sans limite (peut-être un peu fou) aurait pu imaginer. Ainsi la bague-oeil qui permet de voir “à travers tout” ou encore l’incroyable robe à facettes de la complice et amante de John D., Amanda, qui permet autant d’enregistrer des messages que de tuer à distance. Les fans de sourires noteront également les bagues “à la requin” de cette dernière. Sauf qu’ici, le héros est bien loin d’être le héros manichéen de Fleming… Mélangez à cet univers déjà si complet des références limpides au genre cinématographique du giallo et aux bandes dessinées fumetti neri. Et si ces termes ne vous disent rien, raccrochez-vous au cinéma de Tarantino (version Kill Bill ou Boulevard de la mort) : ultra-violence sanguinaire, combattante en combinaison et sabre, thème de la vengeance, immersion de passages en planches dessinées… Pour ne pas vous gâcher la séance, on vous laisse découvrir (tout) le reste. Vers la moitié du film, c’est l’intrigue entière qui se dénoue peu à peu.
Avec Reflet dans un diamant mort, difficile d’en dire assez sans en dire trop ! Hélène Cattet et Bruno Forzani signent tout bonnement un cri d’amour au cinéma et à tous les arts que celui-ci embrasse en un seul écran. Les adjectifs ne sont ici que superlatifs. Il ne faut pas avoir peur de s’y noyer, et c’est très bien ainsi !
RÉALISATEURS : Hélène Cattet et Bruno Forzani NATIONALITÉ : Belgique, Luxembourg, Italie, France GENRE : Action, Thriller AVEC : Fabio Testi, Yannick Renier, Thi-Mai Nguyen, Maria de Medeiros DURÉE : 1h27 DISTRIBUTEUR : UFO Distribution SORTIE LE : 25 juin 2025