A la lueur de la chandelle : le foyer comme matrice de la mémoire

Amateurs de films d’action au rythme trépidant s’abstenir! A la lueur de la chandelle est un film tout en longueurs qui prend son temps, le recompose même au gré de la faculté mémorielle du narrateur. André Gil Mata sait de qui tenir puisqu’en 2013 il intègre la film.factory, école expérimentale internationale de cinéma – débouchant sur un doctorat – fondée par Béla Tarr à Sarajevo – y figurent comme enseignants Béla Tarr lui-même, Gus Van Sant, Jim Jarmusch, Aki Kaurismaki, Atom Egoyan ou Carlos Reygadas pour les plus connus – ville où il tourne deux long métrages. Ce film est le troisième volet d’une trilogie consacrée à sa grand-mère, constitué du film expérimental House (2010) et du documentaire Captivité (2012).

La vieille femme prénommée Alzira, aux gestes ralentis, à l’appétit de vivre émoussé, vit en compagnie de sa servante de toujours dans sa maison d’enfance. Mais le film débute sur une crise : Alzira ne supporte plus la présence de cette dernière à ses côtés, ses remontrances et son attitude hautaine. Beatriz, le nez levé, un air arrogant affiché sur son visage, petit-déjeune en silence à la table de la cuisine où se trouve en même temps qu’elle Alzira qui, effondrée, immobile, incapable de toucher à sa nourriture, les épaules tombantes, encaisse les coups. Ainsi, Alzira s’apprête-t-elle à prendre une décision radicale. Le film est traversé par cette tension sourde qui persiste entre les deux femmes, même si elle reste quelque peu invisible pour le spectateur qui doit la déduire de signes discrets. Elle va jusqu’à la cruauté, une cruauté d’autant plus féroce qu’elle s’exécute au milieu des tâches ménagères, comme si de rien n’était et sans que la narration semble insister plus particulièrement dessus : le chat, compagnon fidèle d’Alzira, se fait la cible de la méchanceté de Beatriz.

Un étrange objet que le film du réalisateur portugais qui lorgne du côté du drame psychologique sublimé en son temps par Ingmar Bergman, dont il ravira les adorateurs, même s’il y manque encore toute l’intensité latente que le maître savait y apporter.

La maison est l’un des personnages du film à part entière qui vit au rythme du temps égrené par la cloche de l’église, seul élément extérieur avec la lumière du jour à franchir le seuil de la maison, y creusant un décor fait d’ombre et de lumière. La chronologie ordinaire est conservée comme un cadre soulignant le caractère expérimental fait au temps dans le film. Toujours le même travelling, descendant du clocher de l’église, le long des magnolias, se heurtant à un tronc d’arbre pour nous dévoiler la niche du chien puis enfin l’escalier de pierre menant à la porte d’entrée. Ce même plan, répété quatre fois, égrène la succession des saisons – feuilles d’automne jonchant le sol par exemple – et des heures du jour. A l’intérieur de la maison, chaque geste est décrit minutieusement, dans sa longueur, dans son caractère répétitif et même monotone – on pense par exemple à la préparation des repas –  le réalisateur s’inspirant en cela du Jeanne Dielman (1975) de Chantal Akerman.

Les meubles sont aussi vieillots que les personnages eux-mêmes, comme si la vie s’était soudainement figée dans le temps. Ils sont les éléments évocateurs d’une remémoration du passé. Ils entretiennent la mémoire d’Alzira : des scènes de sa vie en compagnie de Beatriz et de son mari, mais également des scènes plus lointaines de son enfance ou de sa jeunesse – les leçons de piano ou la demande en mariage d’Augusto – réapparaissent à la surface de la mémoire comme de la pellicule – un 16mm qui donne son grain usé à l’image comme le sont les personnages et la maison qu’ils habitent. Des moments de vie volés au temps, d’innocence – les enfants jouent entre eux, tombent malades … – de morosité et d’indifférence – celle d’Augusto pour son épouse, creusée par le temps et l’usure qu’il entraîne avec lui. Fantômes du passé comme fantômes du présent : Alzira et Beatriz sont vues à travers le reflet d’un miroir ou d’une glace comme si elles-mêmes ne faisaient désormais presque plus partie de la réalité. Fragments de vie reliés entre eux par le principe d’association subconscient qui régit la mémoire subjective. Un étrange objet que le film du réalisateur portugais qui lorgne du côté du drame psychologique sublimé en son temps par Ingmar Bergman, dont il ravira les adorateurs, même s’il y manque encore toute l’intensité latente que le maître savait y apporter.

3.5

RÉALISATEUR : André Gil Mata
NATIONALITÉ :  Portugal, France
GENRE : Drame psychologique
AVEC : Eva Ras, Marcia Breia, Dinis Gomes
DURÉE : 1h52
DISTRIBUTEUR : Ed Distribution
SORTIE LE 9 avril 2025