Dire qu’Anita Rocha da Silveira est l’une des réalisatrices contemporaines les plus prometteuses du Brésil serait un euphémisme. Cinq ans après son fascinant premier long-métrage, Mate-me por favor, la réalisatrice brésilienne présente cette année à la Quinzaine des Réalisateurs Medusa, relecture du mythe de la méduse dans le Brésil évangélique et machiste de Jair Bolsonaro. Un film de genre fulgurant, confirmant la naissance d’une réalisatrice hors pair aux talents remarquables de mise en scène.
Le jour, Mariana appartient au groupe Les Précieuses, chœur de jeunes femmes chrétiennes évangélistes faisant tout pour fuir le pêché. La nuit, elle prend en embuscade dans son quartier les femmes de mauvaise réputation, les humiliant et les terrorisant jusqu’à les faire rentrer dans le droit chemin de la morale chrétienne. Masques énigmatiques au visage et téléphones à la main, elles s’inspirent d’une héroïne mystique et mystérieuse devenue une icône lorsque, armée d’un verre de kérosène et d’un masque blanc comme neige, elle défigura une actrice de petite vertu en l’immolant dans une boîte de nuit. Fascinée par cette légende urbaine, Mariana entreprend de retrouver la victime brûlée pour montrer au monde ce que méritent les femmes qui cèdent aux tentations charnelles. Mais face à la rage diabolique de cette femme devenue monstre, Mariana pourrait bien elle-même perdre sa vertu…
Réussite à tous les niveaux, Medusa brille autant par l’ironie renfermée dans sa mise en scène léchée que par le génie des numéros musicaux kitsch et baroques qui rythment le film. Plantant sa caméra devant ses héroïnes comme pour leur renvoyer un miroir, Anita Rocha da Silveira s’illustre tout en verve et en humour comme une grande cinéaste de genre, mais aussi une grande réalisatrice féministe, jouant à armes égales avec des autrices comme Céline Sciamma dans sa capacité à interroger le regard que le cinéma porte sur les femmes. »
Film de genre musical, baroque et populaire, Medusa saisit le spectateur d’emblée par sa photographie exemplaire, sa bande-son fascinante et plus encore par la maîtrise de la réalisatrice. Quelque part entre un Us de Jordan Peele, un Suspiria d’Argento ou un Carrie de De Palma, la réalisatrice n’hésite pas à en mettre plein les yeux, baignant ses scènes nocturnes tantôt d’un vert vif contre-nature devenu le symbole de cette Méduse moderne qui hante Les Précieuses, tantôt d’un rouge saturé connotant la luxure, mais aussi l’émancipation du désir. Délicieusement kitsch, Medusa n’en reste pas là : car la réalisatrice brille dans la mise en scène de performance face caméra, que ce soient les numéros musicaux des Précieuses risibles de mièvrerie ou encore les tutos beauté de Mariana et de sa meilleure amie Michela. Regardant dans la caméra comme on regarde un miroir dans sa salle de bain, les personnages d’Anita Rocha da Silveira sont poussés à la performance constante, à la mise en scène de leur propre corps sous la lumière des néons ou l’éclairage parfait d’un studio. Mais quand la Méduse frappe dans la ville, le miroir que tend la réalisatrice aux personnages n’est plus celui dans lequel elles peuvent se faire belles : au contraire, il devient celui dans lequel toutes les immondices ressortent au grand jour, devant lequel les masques tombent et les personnages ôtent leur maquillage, révélant des imperfections terrifiantes, inimaginables dans l’ordre moral et esthétique qui les gouverne. Dispositif cinématographique brillant, ces scènes de numéro théâtral réussissent l’exploit d’être à la fois extrêmement accrocheuses et parfaitement ridicules, sublimes dans leur kitsch et dramatiques dans leur perfection surfaite. Des performances impossibles qui poussent peu à peu les femmes à la rupture, jusqu’à un climax final rondement mené, une scène d’hystérie collective qui résonne comme une libération face au joug de la morale évangéliste machiste.
Si Medusa est une telle réussite, c’est non seulement grâce au style exemplaire de la réalisatrice, mais aussi grâce à l’approfondissement judicieux des thématiques qui étaient en germe dans son premier long-métrage. Car la réalisatrice prend cette fois le parti de compléter ses personnages féminins en représentant frontalement ceux qui sont leur première menace, à savoir les hommes. À la fois hilarants dans leur caricature de machisme, terrifiants dans leur violence et érotiques dans leur performance physique, les séquences d’entraînement chorégraphié du groupe machiste paramilitaire Les Fils de Zion sont le parfait pendant masculin des scènes de chorégraphie et de chant des Précieuses. Mettant les deux directement face à sa caméra, faisant jouer en miroir les performances de virilité machiste et les performances d’une féminité stigmatisante, Anita Rocha da Silveira fait se répondre les modèles paradigmatiques de la bonne épouse et du militaire macho. Renvoyés dos à dos, les deux performances de genre structurant cette secte évangéliste frisent le caricatural dans des numéros musicaux fascinants d’humour et de malice, mais aussi de sinistre et de menaçant. Réunissant désir et terreur, esthétique pomponnée et décors sordides, la réalisatrice s’illustre alors assurément à la fois comme une grande cinéaste de genre et féministe, poussant la morale patriarcale chrétienne jusqu’à l’absurde avec un dynamisme fascinant et une mise en scène hypnotique.
Réussite à tous les niveaux, Medusa brille autant par l’ironie renfermée dans sa mise en scène léchée que par le génie des numéros musicaux kitsch et baroques qui rythment le film. Plantant sa caméra devant ses héroïnes comme pour leur renvoyer un miroir, Anita Rocha da Silveira s’illustre tout en verve et en humour comme une grande cinéaste de genre, mais aussi féministe, jouant à armes égales avec des autrices comme Céline Sciamma dans sa capacité à interroger le regard que le cinéma porte sur les femmes.
RÉALISATEUR : Anita Rocha da Silveira NATIONALITÉ : Brésilienne AVEC : Bruna G, Bruna Linzmeyer, Felipe Frazão GENRE : Drame, Épouvante DURÉE : 2h02 DISTRIBUTEUR : Wayna Pitch SORTIE LE 16 mars 2022