Un Parfait inconnu : j’écris ton nom, liberté

Bob Dylan, on ne le présente plus vraiment, légende de la musique populaire américaine, tenant le haut du pavé depuis plus de soixante ans. Il est toujours en activité à 83 ans, poursuivant son Never Ending Tour, en enchaînant une centaine de dates de concerts par monts et par vaux chaque année. De manière générale, Dylan est considéré comme l’un des plus brillants, sinon le plus brillant, représentant de la pop music, au point de remporter en 2016 le Prix Nobel de Littérature. Il est aussi l’un des rares survivants avec Paul McCartney et les Rolling Stones de cette ère mythique des années soixante qui a tant fait pour modifier les consciences sur les plans social et politique. Pourtant, qui connaît vraiment Bob Dylan? Au même titre qu’un David Lynch qui l’admirait infiniment, il est demeuré toute sa vie une énigme, un être imprévisible, farouchement libre et ne pouvant être réduit à une ou même plusieurs définitions. En 2007, Todd Haynes avait bien capté la difficulté de l’exercice du biopic concernant Bob Dylan, en le faisant interpréter dans I’m not there par six acteurs et une actrice. Après l’obtention du Prix Nobel de littérature, James Mangold s’y colle dans le même esprit que son très réussi Walk the line consacré à Johnny Cash, en adaptant un ouvrage, Dylan Goes Electric d’Elijah Wald se concentrant sur les cinq premières années de sa carrière, de 1961 à 1965,

1961: un jeune chanteur et guitariste, Bob Dylan, débarque de son Minnesota natal à Greewich Village. Il rencontre à l’hôpital son idole Woody Guthrie, souffrant d’une maladie neuro-dégénérative, et est pris sous l’aile de Pete Seeger, un autre chanteur folk, qui devient son mentor. Il est pris entre deux amours, une étudiante militante, Sylvie Russo, et Joan Baez, une chanteuse déjà célèbre. Il va progressivement s’émanciper de toutes ses influences et ses liens.

Un biopic classique et réussi, où le spectateur est plongé directement d*ans les années soixante, reconnaît ou découvre les figures de l’époque interprétées par des acteurs et actrices se trouvant au plus proche des modèles d’origine.

L’optique de James Mangold s’avère extrêmement différente de celle de Todd Haynes : plus resserrée, délibérément historique et illustrative de manière quasiment maniaque, alors que Haynes restait dans le domaine du symbolique (un gosse noir pour montrer la période d’assimilation du blues par Dylan, une femme -Cate Blanchett- pour représenter Dylan dans sa période androgyne, au sommet de sa célébrité). Contrairement au portrait cubiste de Haynes, Mangold s’évertue à dresser un biopic classique et réussi, où le spectateur est plongé directement dans les années soixante, reconnaît ou découvre les figures de l’époque (Dylan, Seeger, Baez, Cash, Lomax, Grossman, etc.) interprétées par des acteurs et actrices se trouvant au plus proche des modèles d’origine.:

En cela, Mangold suit les traces de son précédent biopic de musicien, Walk the line, consacré à Johnny Cash, éclatante réussite qui a valu des récompenses à Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon. On croisera d’ailleurs à plusieurs reprises Johnny Cash dans Un Parfait inconnu, rappels de Walk the line, car une belle amitié et une admiration réciproque le liaient à Bob Dylan. Dans son nouveau film, Mangold reconstitue à nouveau à merveille l’époque et rend parfaitement crédibles les performances de ses comédiens. Timothée Chalamet, absolument bluffant, semblait né pour jouer Dylan à cette période de sa carrière. Signalons que, comme Phoenix pour Cash, il interprète lui-même toutes les chansons de Dylan, en s’accompagnant à la guitare. On assiste donc à un best-of des chansons de la période 1961-1965 : les connaisseurs identifieront sans peine, entre autres chansons inoubliables, Fixin’ to die, Song to Woody, Blowin’in the wind, Girl from the north country, Masters of war, Dont think twice, its alright, All I really want to do, It ain’t me babe, Like a rolling stone, etc, La même performance est réalisée par tous les autres acteurs interprétant des chanteurs, soit Edward Norton (Pete Seeger), Monica Barbaro (Joan Baez) et Boyd Holbrook (Johnny Cash).

Hormis interpréter toutes ses chansons, Chalamet adopte particulièrement bien l’air perpétuellement renfrogné et absent, se regardant en dedans, très spécifique à Dylan. En dépit de son visage d’ange au début de sa carrière, ce dernier ne cherchait jamais à se rendre sympathique, ce que rend très bien Chalamet, en ne souriant presque jamais. Certes, à la différence de Walk the line, ce nouveau biopic est réalisé du vivant de son sujet, ce qui explique facilement certaines omissions : pas de drogues apparentes, oubli de la cérémonie controversée du Prix Tom Paine, minimisation du rôle de Suze Rotolo (rebaptisée Sylvie Russo à la demande expresse de Dylan), dans la formation littéraire et politique du génie.

Mangold a construit son film à travers deux ou trois liens relationnels, la belle amitié de Dylan avec Pete Seeger et ses deux grands amours Suze-Sylvie et Joan Baez, le tout menant au climax du concert au Festival folk de Newport en 1965, où Dylan montrera que l’essentiel pour lui consiste à se délivrer du fardeau de la célébrité et de tous liens, en exprimant avant tout sa liberté. On ne pourra s’empêcher de ressentir un frisson, face à cet événement brillamment reconstitué, équivalent pop de la bataille d’Hernani ou de la représentation du Sacre du Printemps. En effet, ce concert de Newport 1965 est l’événement fondateur qui a permis la fusion des genres musicaux aux Etats-Unis, et montré la détermination d’un artiste d’aller jusqu’au bout de son projet, en dépit de la désapprobation et de la déception de son public. S’interrompant juste avant la sortie de Highway 61 revisited, l’un des grands albums de l’histoire de la musique rock, et un an avant un accident de moto mythique qui a failli coûter la vie à Dylan, accident planant sur le film, tel un aigle noir, sans jamais survenir, Un Parfait inconnu ne répond pas davantage que I’m not there à la question de l’énigme Dylan, ni à celle de l’origine de son génie, mais propose néanmoins une piste, celle d’une liberté irréductible, indéfinissable et imprévisible.

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RÉALISATEUR : James Mangold
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : biopic, film musical
AVEC : Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Boyd Holbrook
DURÉE : 2h20
DISTRIBUTEUR : Walt Disney Company 
SORTIE LE 29 janvier 2025