Je suis toujours là : la présence du souvenir

Après s’être égaré Sur la route dans une adaptation trop littérale de Kerouac, Walter Salles revient à ses fondamentaux et surtout son pays d’origine, le Brésil. Je suis toujours là évoque une histoire vraie, d’après le livre de Marcelo Rubens Paiva sur la disparition de son père Rubens Paiva, député du parti travailliste brésilien, en 1971 durant la dictature militaire. Tourné après la présidence de Bolsenaro, le film a bien évidemment une dimension ouvertement politique, sous couvert de rappeler des faits anciens qui pourraient se révéler tristement actuels. Après treize ans d’absence, Walter Salles prouve ainsi qu’il n’a rien perdu de son sens de la mise en scène et de la véracité de la reconstitution d’une situation fortement émotionnelle.

Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu’au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité…

Après treize ans d’absence, Walter Salles prouve ainsi qu’il n’a rien perdu de son sens de la mise en scène et de la véracité de la reconstitution d’une situation fortement émotionnelle.

Le film de Walter Salles commence paisiblement : le sable, la plage, la mer, les chamailleries des adolescents, la tendre complicité entre la cadette de la famille et son père, la mère qui veille tranquillement sur sa famille d’un regard tendre. Pourtant, quelques minutes après, des contrôles par la police ne laissent guère de doutes : l’action prend place au Brésil dans une dictature. Le film oscille entre ces deux pôles, le chaud et le froid, le bonheur familial et la violence militaire, une jeune ado qui danse et chante en play-back sur « Je t’aime moi non plus » de Birkin-Gainsbourg et les rideaux d’une maison entièrement tirés lorsque des émissaires des militaires viennent chercher Rubens Paiva pour l’emmener vers une destination inconnue.

C’est le point de bascule du film, celui à partir duquel l’insouciance va définitivement disparaître des coeurs de cette famille. Cette séquence centrale montre ainsi des inconnus s’introduire dans la maison du bonheur et la fracasser symboliquement à jamais. A partir de là, Eunice qui s’était laissée aller dans un rôle d’épouse bienveillante, va devenir profondément militante et s’investir dans un rôle d’avocate. Sans jamais surjouer, effectuant une prestation à l’opposé d’une notion de performance, Fernanda Torres nous fait croire à ce personnage de femme qui va se trouver une mission politique et sociale, ce qui justifie pleinement sa récompense de Golden Globe de la meilleure actrice dramatique 2025. Le spectateur va surtout partager sa quête sans fin et son obsession de vouloir retrouver son mari disparu. Il compatira quand paradoxalement, elle sera soulagée d’obtenir enfin un avis de décès.

A la toute fin, le film réserve un épilogue bouleversant, se situant cinquante ans plus tard, justifiant son Prix du Scénario à la Mostra de Venise 2024. Dans le rôle d’Eunice, Fernanda Torres passe alors le relais à sa mère, la grande actrice Fernanda Montenegro, nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice pour Central do Brasil du même Walter Salles, presque trente ans auparavant. Elle a plus de 90 ans, ne réagit presque plus à son entourage familial, et souffre de problèmes d’Alzheimer. Pourtant, en voyant à la télévision des images de son mari disparu, son regard s’anime. Elle le reconnaît très émue. En une seule séquence, Walter Salles parvient à rendre absolument déchirant un biopic efficace et classique, avec photos des personnes réelles au générique de fin, à le transformer en un hommage à la résilience admirable des femmes. Le mari d’Eunice est toujours là, il l’a accompagnée durant toutes ces années, il a peut-être même été plus présent dans son absence, en parvenant à la faire changer de vie.

3.5

RÉALISATEUR : Walter Salles 
NATIONALITÉ :  brésilienne 
GENRE : drame, thriller 
AVEC : Fernanda Montenegro, Fernanda Torres, Selton Mello
DURÉE : 2h15 
DISTRIBUTEUR : StudioCanal 
SORTIE LE 15 janvier 2025