Les chroniques de Darko – Bird : Un vol tourmenté

La réalisatrice britannique est une habituée de Cannes. Après s’être faite remarquer en 1998 avec son court-métrage Milk à la 37ème Semaine de la Critique, elle remporte trois fois le prix du jury du Festival pour Red Road en 2006, Fish Tank en 2009 et American Honey en 2016. Bird se voit ainsi naturellement sélectionné en compétition officielle pour le Festival de Cannes 2024. Comme à son habitude c’est sur fond de misère sociale qu’Andrea Arnold situe ses personnages sans pour autant faire preuve d’un quelconque misérabilisme. Au contraire, les habitants de l’immeuble – qui ressemble plus à un squat qu’à autre chose – dans lequel vit Bailey, la jeune héroïne du film, sont hauts en couleur et semblent vivre en bon voisinage. Bug, le père, annonce à sa fille qu’il compte se remarier avec une jeune femme qu’il connaît depuis à peine trois mois et qui a elle-même une petite fille d’un précédent mariage. Tout comme dans Fish Tank, le film dresse le portrait d’une adolescente rebelle de 12 ans qui voit d’un mauvais œil l’évènement annoncé et refuse le rôle de demoiselle d’honneur qu’on cherche à lui attribuer.

Bailey tourne son attention ailleurs, vagabonde et photographie les oiseaux via son téléphone portable, séquences qu’elle visionne en boucle une fois rentrée chez elle. C’est son échappatoire. Le leitmotiv des oiseaux agit durant tout le film comme une métaphore de la liberté et de l’évasion vers un ailleurs ; en outre, ils interviennent comme guides voire comme aides de l’héroïne. Contemplative et rêveuse, elle n’en est pas moins active et du haut de ses douze ans assume des responsabilités d’adulte que les adultes eux-mêmes ont, lâchement ou par lassitude, depuis longtemps abandonnées. Elle emmène ses petits frères et sœurs à la plage l’espace d’une après-midi, histoire qu’ils vivent autre chose que de rester enfermés à jouer tous seuls dans la maison de leur mère qui les délaisse. Une mère complètement désemparée qui s’est mise à la colle avec un homme narcissique et violent. Les mauvais choix des adultes pèsent sur les épaules des enfants qui n’en peuvent mais.

Le leitmotiv des oiseaux agit durant tout le film comme une métaphore de la liberté et de l’évasion vers un ailleurs

Bailey fait par hasard la connaissance d’un homme étrange qui se fait appeler Bird avec qui elle va se lier d’amitié et qu’elle va aider à retrouver sa famille. Elle le rencontre régulièrement sur le toit d’un immeuble d’où l’on a le sentiment qu’il va prendre son envol. Et la métaphore se file jusqu’à atteindre un fantastique inattendu dans ce film à la veine plutôt réaliste à laquelle nous a habitués Andrea Arnold. Car si Bailey accompagne Bird dans sa quête d’identité, celui-ci est aussi bien un confident et un guide pour la jeune fille qu’il va aider à s’accepter et à vivre sereinement dans un monde pourtant chaotique. Car la violence et la misère sociale sont à l’œuvre à travers le personnage du petit ami de sa mère notamment mais aussi de son frère de 14 ans, Hunter, qui se lance avec sa bande de copains dans des expéditions punitives au domicile des habitants de la petite bourgade.

De même, le thème de la reproduction sociale apparaît lorsque Hunter met enceinte sa petite amie de 14 ans, au même âge qu’avait son père lorsqu’il a épousé sa mère. Mais Bug est bien trop obnubilé par son mariage – ainsi que par son crapaud à came – pour se rendre compte de rien. Bailey devra encore une fois intervenir pour l’empêcher de commettre une bêtise. Le destin des personnages secondaires est traversé de choix pour le moins discutables qui les mènent parfois dans des pièges que leur tend la misère sociale, et leur vie semble déterminée à l’avance. Quoique le film semble nous suggérer en partie le contraire. Car tout n’est pas si noir et le film dresse le portrait d’une adolescente bien vivante dont le sourire lumineux rayonne au-delà de la pellicule. Avec ça, un père grande gueule et extraverti au cœur tendre – performance extra de l’acteur Barry Keoghan – pour ses enfants qu’il aime par-dessus tout et une fresque de l’Angleterre des banlieues nourrie d’alcool, de fêtes et de musique punk.